Atypique en Provence, le village des Salles surprend, avec ses larges rues rectilignes, ses vastes parking faciles d'accès, ses façades où alternent crépis et revêtements de pierres uniformes, son église colossale, et son esplanade d'où l'on ne peut que deviner le lac. "Avec le potentiel touristique que représente le barrage, nous avons un avenir certain à mes yeux", disait le maire de l'époque, Jean Gombert ; "il faut que les gens en prennent conscience et aient le courage de redémarrer". Quelle autre alternative avaient-ils? Bon gré, mal gré, la reconversion a eu lieu, et aujourd'hui la population explose en été en se multipliant par 20. Et comme dit J.Jacques Grézoux, président de l'Association "Mémoire des Salles", "si l'ancien village était façonné par les siècles, celui-ci commence à être façonné par les années".
LE LAC...ET L'HISTOIRE
Le village est calme en ce jour de printemps. Un agriculteur nettoie ses lavandes, les commerces affichent déjà un air de vacances avec leurs articles de plage en terrasse, et devant l'Office du Tourisme, le marché anime joyeusement la place. Là-haut à l'est, le village d'Aiguines et son château apparaissent nichés dans les rochers, tandis que de l'autre côté, le lac s'étale en une nappe d'un bleu-vert lumineux. Ici, on pratique de nombreux sports nautiques : baignade, canoë, voile, pédalo, planche à voile, pêche... Seuls les moteurs autres qu'électriques sont interdits.
Si le village parait récent au premier coup d'oeil, une visite plus approfondie permet de découvrir du matériel agricole et des monuments remontés de l'ancien village : autant de jalons, au hasard des rues, pour une promenade dans le passé.
Un alambic pour distiller la lavande. "On comptait sept alambics aux Salles", précise Marion de l'Office du Tourisme. Et A.Latz dit encore : "Les Salles étaient le centre de distillation pour Bauduen, Baudinard, Sainte Croix, Moustiers".
Comme toujours en Provence, les fontaines étaient très importantes. Celle qui se trouve devant l'Office du Tourisme date de 1912, et son eau est potable. "Il s'agit d'une eau de source venant d'Aiguines, qui alimentait déjà l'ancien village où l'eau courante n'a été installée que dans les années 60". Cette fontaine est désormais dissociée du grand lavoir reconstruit sur la place principale du village.
Le petit lavoir, sans doute le plus ancien, est maintenant rattaché à une fontaine d'eau potable. "Il existait un troisième lavoir sur le canal d'arrosage, qui n'a pu être récupéré". Ici, ils ont perdu leur rôle social. On ne vient plus s'y réunir pour laver le linge en discutant des dernières nouvelles. Seuls quelques touristes y font quelquefois un brin de lessive, ou renouvellent une provision d'eau fraiche.
L'église Sainte Anne, au volume démesuré, comporte une imposante voûte en béton armé. "Au départ, nous pensions accueillir 2000 touristes tout au long de l'année... Il y a même eu un projet de cloître dans le bâtiment occupé actuellement par l'Office du Tourisme. C'est pourquoi le clocher est coupé de l'église".
Comme pour de nombreuses maisons environnantes, un crépi et des pierres de parement revêtent ses murs. "Le tympan, couvert de galets du Verdon et sculpté par Philippe Meyer, représente les symboles des quatre évangélistes : l'aigle pour Jean, le lion pour Marc, le Taureau pour Luc et l'être humain pour Matthieu. Ils sont tous ailés, et tiennent l'Evangile. On y voit aussi, en haut, Notre Dame de l'Espérance".
Les vitraux, contemporains, ont été réalisés par Ginette Balestrat. Mais la cloche, ainsi que tableaux et statues qui ornent l'intérieur, ont été récupérés dans l'ancienne église.
Dédiée à l'origine à Sainte Marie, l'église des Salles a été donnée en 1033 aux religieux de Saint Victor par l'évêque de Riez.
Restaurée en 1877, elle passe alors sous le patronage de Sainte Anne.
Et bien sûr, les Sallois ont transféré tous leurs morts dans le nouveau cimetière.
760 MILLIONS DE METRES CUBES D'EAU
Le lac attire tous les regards avec ses eaux qui miroitent sous le soleil, alternant toutes les nuances du bleu et du vert selon la couleur du ciel. "Le vert jade", explique Julien de La Maison des Lacs, "résulte de l'association du terrain calcaire, des algues et du fluor". Avec ses 750 milions de mètres cubes d'eau, le lac atteint une profondeur de 50m à 60m, et 90m au niveau du barrage. Jean-Jacques Grézoux, président de l'Association "Mémoire des Salles" souligne : "Il a fallu un an et demi pour inonder la vallée, alors que deux semaines auraient suffi ; mais il était impératif de tester le barrage". Tandis que Julien ajoute : "Les sismographes ont alors enregistré quelques micro-séismes créés par le poids de l'eau qui a tassé le terrain ; mais rien de grave". Depuis, le lac n'a jamais été remis à sec pour contrôler le barrage. "Il est régulièrement inspecté par des caméras, des robots subaquatiques, car il est impossible de se priver d'une ou plusieurs journées d'électricité".
UN TOURISME UN PEU SPARTIATE DANS UN SITE SAISISSANT
Le village des Salles compte des hôtels restaurants, dont certains surplombent le lac, gîte, locations et camping... une école de voile, et il est facile de louer pédalos, canoës et bateaux électriques. Les gorges du Verdon sont à deux pas, et les remonter en bateau reste un souvenir inoubliable...
Mais le lac n'est pas réellement aménagé pour les touristes. Ses plages de galets où l'on se tord les pieds, ou ses zones de boue où l'on s'enfonce jusqu'aux genoux, ne sont pas forcément très attrayantes. Plus d'aménagement parait impossible. D'abord parce que le niveau du lac n'est pas constant. Il varie selon les saisons et les besoins d'EDF. Et Arinna Latz notait déjà en 1979 : "Le problème du marnage constitue un obstacle financier majeur au développement touristique".
Et puis le lac est situé dans le Parc Naturel Régional du Verdon, créé en 1997 à la demande des communes limitrophes et des associations locales de défense de l'environnement, pour veiller à ce que certains intérêts économiques n'entrainent pas la dégradation du site, qui conserve un aspect sauvage.
Une ancienne colline émerge du lac face au village des Salles. C'est l'île de Costebelle, où il a été question, en 1976, d'implanter un centre naturiste destiné essentiellement aux Allemands et Hollandais , les seuls, selon les Sallois à l'époque, qui "sont assez fous pour se baigner dans un lac glacé". La municipalité prévoyait que "cette opération amènerait la rotation de 5000 à 6000 personnes par an". Le projet n'a jamais vu le jour.
Le lac enfin, sert de réservoir d'eau pour les pilotes des canadairs qui viennent s'y entrainer et écoper lors des incendies. Un spectacle toujours impressionnant.
L'histoire des Salles n'est pas unique. Bien d'autres villages ont été noyés, ou ont dû être abandonnés par leurs habitants au profit d"'intérêts nationaux" et /ou commerciaux.
"Aujourd'hui, nous ne sommes pas amers", dit J.Jacques, "et nous ne racontons pas notre histoire pour nous faire plaindre. Mais pour que vous soyez vigilants. Nul n'est à l'abri de projets qui bouleversent sa vie de façon irrémédiable".
LE BARRAGE UN SITE DE CONSTRUCTION EXCEPTIONNEL POUR EDF
"La quantité de béton que nous avons mise en oeuvre est dérisoire par rapport à la quantité d'eau que nous allons stocker derrière..." (1m3 de béton retient 15000 m3 d'eau un ingénieur EDF. Voir film ci-dessous)
La mise en eau du réservoir de Sainte Croix clef de l'aménagement du Verdon et de l'équipement hydraulique régional, par J.Nicod