ENERGIE VAR GAZ DE SCHISTE

Sous la menace du "permis de Brignoles"

Découverte brutale pour la population varoise et ses élus : la société Schuepbach Energy a déposé le 1er octobre 2008, une demande de permis d'exploration du gaz de schiste, enregistrée sous le nom de "Permis de Brignoles". Il concerne la presque totalité du Var, ainsi qu'en moindre proportion, les départements limitrophes des Bouches du Rhône, des Alpes de Haute Provence et des Alpes Maritimes, soit 6785 km2. L'exploitation de ces gaz emprisonnés dans de multiples poches étanches nécessite une technique particulière, la fracturation hydraulique, qui entraine des pollutions aujourd'hui bien connues. C'est pourquoi le "Collectif Non au Gaz de Schiste 83", avait organisé une réunion d'information le 12 mars 2011 à Salernes, où le maire de la ville, Nicole Fanelli, a souligné "l'importance de la mobilisation de tous les citoyens pour mener ce combat pour la sécurité de l'eau".Collectif Non au Gaz de Schiste

 

LA FRACTURATION HYDRAULIQUE ET SES DANGERS

schéma extrait du New York Times, paru dans Le Courrier International n° 1062, mars 2011, article "Quand le gaz de schiste libère son poison"
schéma extrait du New York Times, paru dans Le Courrier International n° 1062, mars 2011, article "Quand le gaz de schiste libère son poison"

"Le gaz de schiste devrait plutôt être appelé gaz d'argile", a expliqué Georges Baroni, spécialiste en ingéniérie pétrolière. "C'est en fait du méthane produit par la décomposition de matières organiques qui se sont déposées entre des couches rocheuses il y a plusieurs millions d'années. Son exploitation est particulière, car il est disséminé dans de nombreuses petites bulles, et il faut pour l'extraire, fracturer la roche. Après avoir foré un puits en forme de L à grande profondeur (jusqu'à 3000 mètres), on y envoie sous pression (600 bars), un mélange d'eau, de sable et de produits chimiques (de 100 à 600 produits divers), qui va casser la roche, et permettre de récupérer le gaz. Les additifs sont pour la plupart toxiques, susceptibles d'entrainer troubles respiratoires, dermatologiques, perturbations endocriniennes, cancers..." a remarqué Jean-Marie Laure, Docteur en médecine. "On ne récupère au mieux que 50% de cette eau qu'il faudra ensuite traiter. L'eau qui demeure en sous-sol, peut atteindre un jour ou l'autre la nappe phréatique. Une eau polluée qui contient, outre les produits chimiques injectés, des produits radioactifs, qu'il s'agisse des traceurs utilisés pour la fracturation, ou de gaz comme le radium, présent naturellement dans le sous-sol".

 

DES PARCS NATURELS REGIONAUX DANS LE PERIMETRE D'EXPLORATION

Brigitte Grivet, ingénieur agronome, avec Christian Dépret du "Collectif Non au Gaz de Schiste 83"
Brigitte Grivet, ingénieur agronome, avec Christian Dépret du "Collectif Non au Gaz de Schiste 83"

Le permis déposé par la Société Schuepbach Energy recouvre les 3/4 du département, et seule une mince bande côtière est épargnée. "Il m'a été très difficile", a remarqué Brigitte Grivet, ingénieur agronome, "d'obtenir des renseignements à la Préfecture Régionale (Préfecture des Bouches du Rhône), sur l'avancement du dossier, ou sur la notice d'impact que la Société doit avoir déposée avec sa demande ; mais elle ne doit avoir de notice d'impact que le nom, si elle est semblable à celle que j'ai pu voir pour un autre permis..." La zone concernée englobe le camp militaire de Canjuers, ainsi que le P.N.R. du Verdon, et le futur P.N.R. du Pays Sainte Baume. "Ce qui est en totale contradiction avec les lois qui s'appliquent normalement sur l'environnement et les Parcs. Mais il faut savoir que le permis de Nant, qui a été accepté et signé par Jean-Louis Borloo, englobe aussi une bonne partie du Parc des Cévennes. Il faut rester extrêmement vigilants, car nous ne connaissons pas les diverses tractations entre le gouvernement, la Préfecture, l'armée..."

 

EXPLORATION ET EXPLOITATION

Dans le code minier ("qui viole allègrement plusieurs lois françaises et surtout la charte de l'environnement", souligne Brigitte), il est spécifié que la période d'exploration est de 5 ans, renouvelable une ou deux fois, avec, à chaque prolongation, une diminution de la superficie du territoire concerné. "Cela nous mène à une période de 15 ans, pendant lesquels on peut tout à fait exploiter sans payer aucune redevance sur les produits extraits, hydrocarbures ou gaz de schiste. La durée d'exploitation d'un puits n'excédant pas 8 à 10 ans, on peut exploiter un puits sans jamais déposer de permis d'exploitation".

 

SPECIFICITE DU VAR : TERRAIN KARSTIQUE ET CLIMAT MEDITERRANEEN

Monts Auréliens
Monts Auréliens

Où sont les argiles dans la région, et quels sont les lieux où pourraient se dérouler des explorations ? "Il s'agirait de zones assez réduites, contrairement aux USA, où se sont de très grandes étendues", a expliqué Julien Beltramo, Docteur en géologie." Vue la dimension des bassins houillers de la région, je me demande si ce qui est visé en priorité n'est pas le gaz inclus dans le charbon. Il existe de nombreux petits bassins, des petites cuvettes dans le nord du "Permis", comme à Forcalquier, où l'on a déjà exploité le lignite". Ce qui est certain, c'est que la géologie du Var avec ses multiples failles karstiques, et son climat méditerranéen aux orages violents, favoriseraient toute éventuelle contamination de l'eau. "Nous avons une réserve en eau très vulnérable, disséminée dans la roche. Il existe déjà une possible contamination lors du tubage qui n'est pas obligatoirement totalement imperméable. La fracturation en profondeur n'est pas contrôlée, et une contamination entre la nappe phréatique supérieure et la zone profonde où sont injectés les produits chimiques est envisageable, d'autant que les failles karstiques peuvent mettre ces deux zones en contact. De plus, dans les nappes karstiques, la circulation de l'eau est très rapide, et provoque une dispersion accélérée de la moindre pollution, laissant peu de temps pour la juguler. Enfin, l'eau de fracturation récupérée (entre 20% et 50%), devra être stockée dans des bassins ; on imagine aisément que lors d'orages très violents dont la région est coutumière, ces bassins seront immergés, et les eaux polluées répandues".

"Il faut aussi considérer les infrastructures", a insisté Brigitte. "Les puits sont très rapprochés, tous les 500 m ou 1000 m, et il faut acheminer le matériel nécessaire sur les pistes. Pensez que 7000 m3 à 15000 m3 d'eau sont nécessaires pour un forage. Comment se fera le transport du gaz ? Camions ? Gazoducs ? Dans notre région très morcelée, imaginez ce que cela veut dire pour la population et pour les agriculteurs. Ces puits, une fois hors service, devront être surveillés, car pendant des années, des substances nocives pourront s'en échapper, venant polluer l'air ; qu'en sera-t-il?"

 

LE DEBAT EST OUVERT

Brigitte a rappelé que la Société Schuepbach Energy n'a aucun outil industriel. "Elle travaille en association avec des entreprises américaines, et en France, les gros opérateurs sont Total et GDF Suez pour la mise en oeuvre des travaux". Le gouvernement a demandé, face aux contestations de la population, de surseoir aux explorations. "Il ne s'agit pas d'un moratoire ; on suspend les explorations, en attendant les résultats d'une étude faite par les Conseils Généraux de l'Environnement et de l'Industrie, mais les entreprises n'ont aucune obligation de respecter cette suspension. N'oublions pas qu'à l'occasion du dernier remaniement ministériel, l'Energie est revenue sous la houlette de l'Industrie, elle-même dépendante des finances. Ce pseudo-moratoire sera piloté par Bercy et non par l'Environnement.

Face au problème, Josette Pons, député de la 6ème circonscription du Var, est intervenue à l'Assemblée Nationale, et quelques maires ont pris des arrêtés municipaux interdisant tout forage sur leur commune, comme à Néoules ou Garéoult, et bientôt Salernes. Mais quel pouvoir ont-ils exactement ?

"C'est le Préfet de Région qui décide", a affirmé Luc Léandri, Conseiller Régional. "La mobilisation citoyenne qui s'est créée autour de la question du gaz de schiste est très forte. Je pense qu'on a surpris les lobbies industriels, mais vous allez voir que la contre-attaque est en train de s'organiser. Je vous encourage à aller voir leur site internet où l'on parle de "capitalisme vert"... (...) Pourquoi parle-t-on aujourd'hui  de gaz de schiste ? Parce qu'avec l'augmentation des prix du pétrole et du gaz, l'exploitation du gaz de schiste devient rentable, donc c'est bien une question purement financière. L'argument qui va vous être opposé, c'est le développement de l'activité, de l'emploi, et il y a peut-être des maires qui vont céder, à un moment donné, à cette question-là".

"Ne peut-on porter plainte pour mise en danger de la vie d'autrui?" A-t-il été demandé dans l'assistance. "Corinne Lepage est en train d'étudier le Code Minier, la Charte de l'Environnement et le Principe de Précaution, pour une éventuelle solution juridique."

Bernard Fontaine, secrétaire général du Conseil de Développement du Pays Provence Verte
Bernard Fontaine, secrétaire général du Conseil de Développement du Pays Provence Verte
 Véronique Jannot, résidente à Salernes depuis plus de 20 ans
Véronique Jannot, résidente à Salernes depuis plus de 20 ans

Bernard Fontaine, le secrétaire général du Conseil de Développement du Pays Provence Verte (qui rassemble environ 100 000 habitants), a annoncé qu'il allait demander au Conseil d'Administration d'organiser une grande réunion publique sur le gaz de schiste.

Réunions, manifestations... La lutte est en marche. "Mais n'oublions pas que l'une des priorités", a souligné Véronique Jannot, est l'attitude de chacun d'entre nous, au quotidien, pour une consommation responsable".

Des demandes de permis déposées à l'insu des municipalités, des permis d'exploration qui permettent d'exploiter, un pseudo-moratoire que les entreprises n'ont aucune obligation de respecter, une inspection des problèmes à laquelle participe le Conseil Général de l'Industrie, de l'Energie et des Technologies (ancien Conseil Général des Mines)...Le dialogue s'annonce pour le moins difficile.
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 LA CONTESTATION GRANDIT

 

On pratique l'extraction du gaz de schiste depuis une vingtaine d'années aux USA, où la production représentait en 2009, 55% de la production totale de gaz, et les ressources mondiales dépasseraient celles du gaz naturel conventionnel. Ce gaz est également exploité au Canada anglais, et plus récemment au Québec, le long du Saint Laurent. "Les Québécois ont été les premier à s'en inquiéter et à se révolter", dit Brigitte. En France, cette exploitation a été lancée par Jean-Louis Borloo, ancien ministre de l'Environnement, et plusieurs permis ont été accordés, dans le Nord-Est, Nord Pas de Calais, Ile de France, Nord-est et Sud-Est, les derniers validés étant : Permis de Montélimar, Permis de Nant et Permis de Villeneuve de Berq. Plusieurs demandes de permis sont en cours, comme celui de Brignoles et de Cahors. Etant données les conséquences de ces forages sur l'environnement, ces permis sont de plus en plus contestés par la population et certains élus. Des associations se mobilisent. On ne peut que constater qu' "une fois de plus, l'Etat ne s'est pas soucié d'évaluer les risques avant de délivrer les autorisations d'exploration, mais après que les prospections aient débuté, et seulement sous la pression grandissante de l'opinion publique". (Julien Syren. Gaz de schiste et radioactivité. Journal de la CRIIRAD n° 51 mars 2011)

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