ENERGIE  CENTRALES ELECTRIQUES A BIOMASSE DE GARDANNE (13) et BRIGNOLES (83)

Sous couvert d'énergie verte, la marchandisation de nos forêts

"Les forêts précèdent les hommes, les déserts les suivent". (Chateaubriand) photo Didier Lesoil
"Les forêts précèdent les hommes, les déserts les suivent". (Chateaubriand) photo Didier Lesoil

La centrale électrique de Brignoles a ouvert ses portes en juin 2015. Celle de Gardanne ne va pas tarder. Deux usines prévues pour consommer au total un million de tonnes de bois par an. Une énergie considérée comme renouvelable, donc  subventionnée.

Implantées au coeur de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, 2ème région forestière de France, elles font déjà le bonheur de certains propriétaires et exploitants forestiers, pour lesquels elles représentent un débouché providentiel. Une aubaine susceptible de faire disparaitre toute préoccupation de gestion durable de ce précieux patrimoine.

"Quel avenir pour nos forêts?", interrogeait Jérôme Tron du "Collectif SOS Forêts du Sud", en ce début février 2017, lors d'une conférence à Barjols.

De fait, leur marchandisation a commencé.

LE "PAQUET 2020"

"L'énergie biomasse est la forme d'énergie la plus ancienne utilisée par l'homme depuis la découverte du feu à la préhistoire. Cette énergie permet de fabriquer de l'électricité grâce à la chaleur dégagée par la combustion de ces matières premières (bois, végétaux, déchets agricoles, ordures ménagères organiques), ou du biogaz issu de la fermentation de ces matières, dans des centrales à biomasse". (EDF)

Le "Paquet 2020" est un ensemble de lois ayant trois grands objectifs fixés par l'Union Européenne en 2009 pour 2020 :

Jérôme Tron à Barjols en février 2017
Jérôme Tron à Barjols en février 2017
  • Faire passer la part des énergies renouvelables à 20% dans la consommation de l'U.E.
  • Réduire les émissions de CO2 de l'U.E. de 20% par rapport aux taux de 1990.
  • Accroitre l'efficacité énergétique de 20%.

"Or la France", explique Jérôme, "en retard sur ces objectifs, se trouve menacée de sanctions financières". Et en 2010, Eric Besson, ministre de l'Industrie et de l'Energie, et Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Ecologie,lancent un appel d'offres pour la réalisation de 10 centrales à bois. Dans la région, deux projets sont retenus.

Gardanne, une centrale à charbon, qui fonctionnait un à deux mois par an pour fournir un complément d'électricité lors des pics de consommation, sera transformée en centrale à bois, par la compagnie E.ON/UNIPER." Une entreprise allemande qui fait 130 milliards d'euros de chiffre d'affaire. Elle travaille aussi dans le nucléaire, le fuel, le charbon, et se reconvertit progressivement dans le renouvelable".

Gardanne, c'est 850 000 tonnes de bois par an,pour une puissance de 150 MW.

A Brignoles, INOVA monte sa petite soeur, Sylviana, beaucoup plus modeste, qui ne consomme "que" 180 000 tonnes de bois par an, pour une puissance de 22 MW.

UN RENDEMENT MEDIOCRE DE 30%

Les arbres utilisés, des résineux, sont déchiquetés et broyés en plaquettes, pour être brulés à une température d'environ 1 000°.

Le rendement de telles installations, 30%, demeure médiocre. "Sur 10 arbres brûlés, 7 ne font que chauffer le ciel, c'est pourquoi il existe à l'origine une obligation de rendement de 60%, que l'on ne peut obtenir qu'avec un fonctionnement en cogénération, soit une production d'électricité ET de chauffage".

Mais la région PACA étant considérée comme "péninsule énergétique" -en bout de réseau et dépendante d'alimentation extérieure-, l'entreprise de Gardanne a obtenu une dérogation pour ne produire que de l'électricité... Et le fait que ce soit une ancienne centrale à charbon reconvertie, l'oblige à le conserver, à raison de 10% de son alimentation, pour des raisons techniques.

Celle de Brignoles "devrait" être raccordée à un réseau de chauffage...Le peut-elle réellement ?... Cela ne semble pas être réalisé.

Précisons qu'aujourd'hui, la région est alimentée par un bon réseau hydroélectrique et les centrales nucléaires de la basse vallée du Rhône, tandis que l'énergie photovoltaïque et l'éolien se développent.

DES RESSOURCES ILLIMITEES ?

La centrale E.ON de Gardanne a prévu une alimentation avec bois de recyclage, bois d'élagage, plaquettes forestières importées (Amérique du Nord, Brésil), et plaquettes forestières locales, ces dernières devenant majoritaires dans les 10 ans à venir.

"La ressource est disponible", assurent E.ON et INOVA, qui comptent s'approvisionner sur un rayon de 400 kms pour l'un -la région PACA et au-delà-, et 100 kms pour l'autre.

la 2ème région forestière de France : "l'illusion d'une ressource quasi-illimitée"
la 2ème région forestière de France : "l'illusion d'une ressource quasi-illimitée"

"Nous sommes dans la 2ème région forestière de France, et le Var est effectivement le premier département du pays en pourcentage de surface couverte de forêts (62%), ce qui donne l'impression d'une ressource quasi-illimitée", explique Jérôme.

Mais les élus de la Réserve de Biosphère Luberon-Lure et du Parc Naturel Régional du Verdon soulignaient, lors d'une conférence de presse en mars 2015, qu'"à l'horizon 2026, les besoins cumulés de Gardanne et Brignoles représenteront 75% à 130% des ressources théoriquement disponibles sur les Alpes de Haute Provence, Var et Vaucluse", et insistaient sur les risques de concurrence avec les autres usages de la forêt.

1,5 millions de m3 de bois par an sont prélevés en région PACA :

  • en bois bûche pour le chauffage individuel
  • pour les petites chaufferies municipales, qui se sont développées ces dernières années dans les Alpes de Haute Provence et les Hautes Alpes : elles fonctionnent sur des filières courtes, en cogénération et créent des emplois locaux.
  • pour l'industrie, représentée essentiellement chez nous par l'usine de pâte à papier de Tarascon. Elle consomme environ un million de tonnes de bois par an.
  • pour une petite centrale à bois à Pierrelatte, qui brûle 150 000 tonnes de bois par an.
  • en bois d'oeuvre, utilisé pour la construction, "un usage qui devrait être privilégié", note Jérôme.

DES PROJETS  SUBVENTIONNES PAR L'ETAT

Brignoles la centrale INOVA (photo J.C.Barla) une subvention de 8 millions d'euros par an pour son fonctionnement
Brignoles la centrale INOVA (photo J.C.Barla) une subvention de 8 millions d'euros par an pour son fonctionnement

Ces deux centrales ont vu le jour grâce aux subventions de l'Etat. Un investissement initial pour la transformation de l'une et la construction de l'autre, puis des subventions de fonctionnement, l'énergie biomasse étant considérée comme renouvelable. "Il s'agit de 70 millions d'euros par an pour Gardanne, et 8 millions d'euros par an pour Brignoles. Une somme payée par le contribuable sous forme de Contribution au Service Public de l'Electricité (CSPE figurant sur nos factures d'électricité)". En principe une participation permettant l'accès à l'électricité des populations les plus démunies, et le financement de projets d'énergie renouvelable.

Le chantage à l'emploi reste un argument important, développé tant par E.ON qui souhaite maintenir les 80 emplois permanents existant à Gardanne, que par INOVA qui souligne la création de 15 à 20 emplois. "La CGT continue à défendre l'emploi, mais de plus en plus modérément, car le nombre d'emplois garantis diminue", explique Jérôme pour qui "l'élément financier reste majeur pour les investisseurs".

L'IMPACT DES COUPES

Les besoins des 2 centrales  : 36 ha par jour en coupe rase (photo internet)
Les besoins des 2 centrales : 36 ha par jour en coupe rase (photo internet)

L'arbre a cherché le carbone dans l'air, l'a épuré et transformé en bois. Couper un arbre, c'est comme détruire une usine d'épuration" . (Francis Hallé, botaniste, biologiste et dendrologue)

L'impact des coupes sur les paysages se remarque depuis quelque temps dans la région.

" Un hectare de forêt représente environ 75 tonnes de bois", précise encore Jérôme. Les besoins d'INOVA et d'Uniper s'élèvent à 14 000 hectares par an, soit 36 ha par jour en coupe rase".

Pour le moment, les zones les plus touchées sont dans les Alpes de Haute Provence. Nous sommes relativement préservés dans le Var, car la ressource est difficile d'accès, et très morcelée. Cependant, les acheteurs des deux centrales tentent de regrouper les propriétaires pour obtenir des parcelles plus importantes, donc plus facilement exploitables de façon industrielle".

Le massacre a néanmoins commencé comme on a pu le constater, avec ou sans accord des propriétaires forestiers : des exploitants peu scrupuleux n'hésitent pas à effectuer des coupes rases sans aucune autorisation...L'appât du gain? Et l'on découvre des terrains dévastés où d'énormes engins ont creusé des ornières démesurées, et saccagé les sols.

Non sans conséquence : localement,une modification du micro-climat,  des températures, de l'humidité, de la lumière... Des facteurs essentiels dans les processus physiques et physiologiques déterminant la croissance et la vie des végétaux et animaux dont certains vont définitivement disparaitre. "Ces coupes entrainent l'érosion des sols et la perturbation des cycles forestiers. Elles représentent un frein à la biodiversité, et diminuent le stock de carbone".

 

une bilan carbone neutre ? (photo Didier Lesoil)
une bilan carbone neutre ? (photo Didier Lesoil)
pour INOVA, 25 camions par jour toute l'année
pour INOVA, 25 camions par jour toute l'année

 L'énergie bois est considérée comme "verte" car renouvelable, et avec un impact carbone neutre... "La neutralité carbone repose sur l'idée que le carbone libéré par la combustion sera restocké plus tard lors de la repousse. Mais, brûler du bois augmente les émissions à court terme, c'est-à-dire à l'échelle des objectifs de réduction des émissions. La séquestration du carbone prendra, elle, des dizaines d'années. Et encore si, et seulement si, les forêts sont maintenues à l'identique". ("Une arnaque au carbone")
En attendant de meilleurs conditions pour nous attaquer de façon intensive à nos forêts, nous importons du bois d'Amérique du Nord, et du Sud, principalement du Brésil...

La coupe du bois, le transport en bateau jusqu'à Fos, puis en camion jusqu'à la centrale, déchiquetage, broyage... Pour quel bénéfice énergétique ? Pour quel réel bilan carbone ? Quantifier la pollution induite par le rejet filtré -au mieux- par les centrales ne suffit pas ! "Sans compter les accidents : le 15 août 2016, 35 000 tonnes de bois ne sont jamais parvenues à destination. Elles ont brûlé à Fos..."

MARCHANDISATION DE LA FORET

Brésil : plantation d'eucalyptus génétiquement modifiés (photo internet)
Brésil : plantation d'eucalyptus génétiquement modifiés (photo internet)

L'approche industrielle et productiviste de la gestion forestière risque bien, avec l'exploitation massive de nos forêts, d'entrainer leur disparition. Que plantera-t-on à la place de nos chênes verts et pins d'Alep ? Fera-t-on des alignements d'arbres comme au Brésil où se développent des cultures intensives d'eucalyptus et de pins : croissance rapide, rotations courtes, à grand renfort d'intrants chimiques ? Des monocultures semblables à celles pratiquées en agriculture, et dont on connait les conséquences.

"Ces projets sont nocifs", conclut Jérôme, "au niveau sanitaire, pour le climat et la transition énergétique, pour la biodiversité, et pour l'usage qu'ils font de l'argent public".

S'il est normal de prélever du bois dans les forêts, il convient de respecter quelques règles indispensables à une exploitation durable :

  • Eviter les coupes à blanc de plus de 3 ha
  • Renoncer à l'exploitation industrielle avec de gros engins qui détériorent les sols
  • Ne pas faire de monoculture : "c'est tout, sauf une forêt"
  • Ne pas brûler de bois en zone urbanisée
  • Bannir les rendements inférieurs à 60%

Un plan de gestion de la forêt s'avère indispensable. Mais dans le Var, dont 70% de la superficie est en terrains privés, le problème demeure important.

Au-delà du respect des lois existantes sur la forêt, leur survie dépend d'une compréhension profonde qu'elle "est partie essentielle de notre héritage humain" (Michel Tournier)

"Menaces sur la forêt française" film documentaire de Benoit Grimont et Samuel Luret :" La transition énergétique est-elle synonyme de transition écologique ? Pas si sûr… Ce documentaire analyse l’impact qu’aura le développement de l’électricité biomasse sur les forêts, en France et dans le monde..."

Gardanne : annulation de l'autorisation d'exploitation de la plus grande centrale biomasse de France

 

Le tribunal administratif de Marseille qui vient de prendre cette décision a estimé que l'exploitant, le groupe allemand Uniper, n'avait pas suffisamment évalué son impact sur les forêts du Sud-Est.

franceinfoPACA le 8 juin 2017