Depuis une dizaine d'années, de nombreuses voix s'élèvent pour dire que la forêt française en général, et la forêt méditerranéenne en particulier, est sous-exploitée.
A l'heure des énergies renouvelables, elle devient une véritable aubaine pour les centrales à biomasse, comme celles de Brignoles et Gardanne. Cette exploitation industrielle est-elle compatible avec le respect de la biodiversité ? Avec une gestion durable ? Avec les objectifs de la Cop 21- 23 ? Avec une conscience écologique ? Ou s'agit-il uniquement d'un projet économique, dévastateur et à court terme ?
Pour en débattre, l'ADSECA avait invité à Aups le 26 octobre dernier Jérôme Tron, de
SOS Forêt, Joël Perrin, du Centre Régional de la Propriété Forestière, et Elsa Barrandon, du PNR du Verdon.
JEROME TRON : UN NON-SENS ECOLOGIQUE
Depuis son arrivée à Ponteves et la découverte des centrales à biomasse de Brigoles et Gardanne, Jérôme Tron se mobilise contre "cette approche industrielle et productiviste de la forêt. Un non-sens écologique", dit-il. Ces projets, lancés par le gouvernement en 2010 pour augmenter la part de nos énergies renouvelables et répondre aux objectifs fixés pour 2020, apparaissent après analyse, plutôt négatifs pour la santé, le climat, la biodiversité, une gestion durable de la forêt, l'utilisation de l'argent public." L'aspect social demeure très limité", souligne Jérôme, "et quelle est la disponibilité de la ressource ?" Car cette énergie, dite renouvelable, met quelques heures pour brûler, et quelques dizaines d'années pour se reconstituer. Un bilan carbone désastreux.
Un million de tonnes de bois par an, c'est ce qu'avaleront ces deux usines, pour un rendement de 30% uniquement Que cela représente-t-il concrètement : "une coupe intégrale de 36 ha par jour, tous les jours. Et 175 camions de 30 tonnes par jour, rien que pour alimenter Gardanne.”
Les risques sanitaires sont importants : “Gardanne rejettera dans l'air 90 tonnes de particules fines par an. Filtrer les plus petites, de 2 microns ou moins, demeure très difficile. Or, ce sont les plus toxiques, celles qui pénètrent le plus profondément dans nos bronches”.
Quelles seront les conséquences de cette concentration économique de la filière ? Nos forêts sont très morcelées, et l'objectif du Centre Régional des Propriétaires forestiers est de regrouper les propriétaires pour une exploitation industrielle : ouvrir des voies d'accès accessibles avec des engins volumineux. “Ces deux gros acheteurs font monter les prix au départ, mais quand ils resteront seuls en piste, qu'en sera-t-il?”
Financièrement," le propriétaire de l'usine UNIPER de Gardanne, EON, bénéficiera d'une subvention de 70 millions d'euros par an -via la contribution obligatoire des usagers-, pour le maintien de 68 emplois", explique Jérôme, qui préconise des coupes de bois permettant d'assurer la régénération de la forêt, tout en en tirant le meilleur parti.
A GARDANNE LE LITIGE EST TOUJOURS EN COURS
A Gardanne, le litige est toujours en cours. En juin 2017, le tribunal administratif de Marseille, saisi en 2015 par les PNR du Luberon et du Verdon, ainsi que des collectivités locales et environnementales, rend son verdict, leur donnant raison : l'étude d'impact réalisée uniquement sur les communes limitrophes, est insuffisante. Le permis d'exploitation est annulé, et une nouvelle étude doit être effectuée, portant sur les communes se trouvant dans la zone de prélèvement du bois, soit 400 kms à la ronde. Dès le lendemain, le préfet Stéphane Bouillon, accorde une autorisation temporaire d'exploitation à EON, qui fait appel... ainsi que le ministère de la Transition écologique. De son côté, le président de région, Renaud Muselier, publie aussitôt un communiqué : « Il va de soi que nous ne pourrions pas continuer à accompagner des structures qui prendraient une position contraire à celle de la Région sur un projet d’une telle importance pour notre avenir collectif. Il est temps que chacun se ressaisisse et comprenne que l’écologie n’est ni une doctrine ni une idéologie, mais doit être mise au service de l’économie pour faire de la croissance verte un atout et faire gagner la France. »
Le 29 septembre 2017, les deux PNR signent un accord avec EON et la Région, renonçant à toute action en justice.
Le nouvel accord est prévu sur une durée de 3 ans. Le plan d'approvisionnement porte sur la région PACA et Languedoc-Roussillon, soit un rayon de 250 kms. Durant les 10 premières années, 55% du bois sera importé, d'Espagne et du Brésil. "Rassurez-vous, ce n'est pas du bois issu de la déforestation, mais de plantations d'eucalyptus certifiées", explique Jean-Michel Trotignon, chargé des relations institutionnelles pour UNIPER France. "Une monoculture d'eucalyptus qui accueille des plants transgéniques, qui s'est faite sur une partie de l'Amazonie déforestée et sur la destruction de la savane du Cerrado" . (Reporterre- Face au chantage aux subventions, les parcs régionaux acceptent la centrale de Gardanne. 4/10/2017). Comme quoi on peut faire confiance à l'assurance de "bonnes pratiques" d'UNIPER...
JOEL PERRIN : UN MONDE IDYLLIQUE
Joël Perrin rappelle que dans le Var, la forêt s'étend sur 370 000 ha, dont les 2/3 sont privés. La forêt publique, quant à elle, est gérée par l'ONF
Pour lui, si l'on suit les recommandations du Centre Régional de la Propriété Forestière, on peut alimenter les centrales à biomasse avec des pratiques vertueuses. Il faut respecter les règles de la sylviculture : « un encadrement assez strict», affirme-t-il.
Tout propriétaire forestier d'au moins 25 ha, ne peut effectuer de coupe sans avoir recours à un «plan simple de gestion», qui regroupe les contraintes environnementales (sites protégés, espaces boisés classés, sites Natura 2000...), et définit les objectifs : exploitation du bois, mais aussi accueil du public en forêt, sylvopastoralisme, biodiversité, aspect des paysages... «Les forêts sont aussi des zones de protection de la ressource en eau. Quand elles sont correctement gérées, c'est la garantie d'avoir en aval des eaux de qualité ». Ce document d'aménagement de la forêt est obligatoire. « Ces 25 ha peuvent être composés d'un seul tenant, ou de diverses parcelles, mais chacune doit faire au moins 4 ha pour être prise en compte. On peut prévoir coupes et travaux sur une période de 10 à 20 ans ». Le CRPF conseille les propriétaires, et vérifie leurs pratiques.
Par exemple, pour tout projet de coupe de plus de 50% d'une futaie sur une surface de plus de 10 ha, une autorisation est nécessaire. «En général, ce sont des résineux, pins sylvestres et pins d'Alep, car une futaie est composée d'arbres issus de graines, qui se replantent toutes seules. En Provence, les feuillus sont exploités en principe en coupes rases, et ils se renouvellent seuls, par rejets de taillis».
Autre obligation : pour tout propriétaire qui coupe plus de 2 ha à blanc : garantir son renouvellement dans les 5 ans, soit par régénération naturelle, soit par replantation.
Tous ces travaux sont soumis à des contrôles administratifs de la part de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer. «Des contôles en fait très limités, par manque de moyens, car il n'existe que 2 fonctionnaires dans le Var pour accomplir cette tâche», reconnaît Joël, «d'où parfois des coupes abusives».
Philippe Bregliano, président de la Cooperative Provence Forêt souligne le travail réalisé après l'incendie qui a ravagé plus de 600 ha sur les communes de Correns et Montfort en juillet 2016, et le rôle de la centrale à biomasse de Brignoles, qui a récupéré les bois brûlés. « Le produit de la vente a permis de restaurer déjà 60 ha de bois calcinés ».
Cette présentation idyllique de la gestion des forêts privées a soulevé quelques interrogations dans la salle. Car elle correspond peu à ce que l'on observe dans la réalité : coupes illégales, emploi d'engins monstrueux creusant d'énormes ornières sur le terrain... «Et le plan de gestion paraît difficilement applicable, les propriétés de plus de 25 ha étant minoritaires en nombre et en surface». De plus, il n'existe pas que les deux grosses centrales, mais aussi des petites chaufferies locales. « Nous en avons visité une avec l'Association Sillanaise pour la Protection de l'Environnement », dit son président, Michel Apostolo, «à Plan d'Aups, qui fonctionne en cogénération, et chauffe tous les bâtiments municipaux, avec la production locale. Ce qui est à remettre en cause, ce sont les prélèvement industriels».
JEAN BACCI : 11000 EMPLOIS NON DELOCALISABLES
Jean Bacci, maire de Moissac-Bellevue et conseiller régional s'occupant plus spécifiquement de la forêt, précise qu'actuellement 725 000 tonnes de bois par an sont exploitées au niveau de la région. «Pour satisfaire les usines à biomasse, il faudrait 700 000 tonnes de plus, et on exploiterait alors la moitié de l'accroissement de la forêt. Ce qui créerait 11 000 emplois non délocalisables». Il reconnaît que les coupes, telles qu'elles sont réalisées, peuvent poser problème, et que les pratiques doivent évoluer. «Mais les centrales à biomasse ont fait doubler le prix du bois, et sont une solution à de nombreux problèmes, par exemple celui des «déchets verts qui s'accumulent dans les déchetteries, et dont on ne sait que faire ». Il souhaite privilégier le bois d'oeuvre, en particulier avec le pin d'Alep, « le reste peut partir en plaquettes ». Son but : regrouper les petits propriétaires et couvrir tout le territoire avec une charte forestière.
Le maire d'Aups, Antoine Faure, répond que, pour sa part, si la forêt peut être mieux gérée, il donne la priorité aux circuits courts. « Une énergie renouvelable doit être consommée sur place, sinon, au nom de l'écologie, on obtient le contraire du but recherché».
Dans la salle, on se soucie du «chantage à la subvention » fait par la Région aux PNR du Luberon et du Verdon, afin qu'ils renoncent à leur action en justice contre EON/UNIPER : «Si l'approvisionnement en bois ne pose pas de problème, pourquoi s'opposer à une enquête publique élargie, dont le résultat ne pourrait être que positif ?» Sans répondre, Jean Bacci insiste encore sur la création d'emploi....
ELSA BARRANDON : PROTEGER LA BIODIVERSITE
Elsa Barrandon, en charge de la forêt dans le PNR du Verdon, et animatrice Natura 2000, évoque plus spécifiquement la biodiversité. Le PNR du Verdon, c'est 46 communes sur deux départements, le Var et les Alpes de Haute Provence, jusqu'à Saint André des Alpes. Soit 186 000 ha, dont 119 000 ha de forêts, et 74% en propriétés privées.
Le rôle du PNR : intégrer le patrimoine naturel et les paysages dans la gestion forestière. Outre les conseils aux propriétaires forestiers, le travail sur le terrain est important : surveillance des feux de forêts. Sensibilisation du problème au public grâce à la présence d'écogardes. Inventaire et suivi de la gestion forestière. Planification des actions à mettre en place dans le cadre de la lutte contre les incendies...
Le Parc abrite des sites Natura 2000, des sites remarquables de par les habitats, et les espèces qui y vivent, menacées au niveau européen. «Dans ces forêts aux aspects multiples -des feuillus, mélange de chênes verts et pubescents, ainsi que des résineux-, on observe des oiseaux, comme le pic noir et le vautour moine, qui nichent uniquement en milieu forestier». Des insectes aussi, comme la rosalie des Alpes, un longicorne gris-bleuté, dont les larves consomment du bois mort ou dépérissant. «D'où l'intérêt de maintenir des arbres vieillissant sur pied. En zone Natura 2000, des dédommagements financiers correspondant au manque à gagner, peuvent être alloués aux propriétaires dans ce but». On rencontre aussi dans de vieilles forêts au fond des gorges la barbastelle d'Europe, qui vit uniquement en milieu forestier.
Les pinèdes hébergent le circaète Jean-le Blanc, ce rapace migrateur qui aime y faire son nid, que ce soit dans un pin d'Alep, un pin sylvestre ou un pin noir. « Il revient d'Afrique en début d'année, et quand nous avons repéré un nid, nous établissons autour un périmètre de protection».
Aiguines une hêtraie méditerranéenne
Un peuplement surprenant : la hêtraie d'Aiguines, au bord des gorges du Verdon. «C'est un mélange de hêtres, de chênes, de tilleuils, de fruitiers... Des arbres de tous âges. Le hêtre est un montagnard que l'on trouve au-dessus de 900m d'altitude». La hêtraie d'Aiguines est l'une des plus au sud de la France, une hêtraie méditerranéenne, relativement rare, d'autant qu'elle s'étire par endroits jusqu'au fond des gorges, à 600m d'altitude, «grâce à l'hygrométrie et l'ensoleillement qui y règnent. Ce sera un très bon indicateur de l'évolution du climat dans les années à venir», explique Elsa. «Comment réagira-t-elle à cette sécheresse estivale ? Le hêtre a besoin d'eau... Nous proposons de la classer en Réserve biologique : ne plus prélever de bois, et la laisser évoluer... »