IL Y A 60 ANS... L'HIVER 1956 EN PROVENCE

Quand les oliviers pleuraient

côte varoise 60 cm de neige (meteo-Paris)
côte varoise 60 cm de neige (meteo-Paris)
Toulouse (stimuli-insolite.com)
Toulouse (stimuli-insolite.com)
mer de glace sur la Saône (photo internet)
mer de glace sur la Saône (photo internet)

Martigues. Le miroir aux oiseaux (Maritima.info)
Martigues. Le miroir aux oiseaux (Maritima.info)

Hiver mémorable que celui de 1956, où l'on enregistre les températures les plus basses du siècle. Début février, et après un mois de janvier plutôt doux -les amandiers sont en fleurs-, un froid sibérien s'étend sur la France et l'Europe. Pour un mois. La Seine est recouverte par une banquise de trois mètres d'épaisseur. La Saône charrie des blocs de glace dans la région lyonnaise. A Toulouse, quatre hommes sont immortalisés jouant aux cartes sur la Garonne prise par le gel. En Provence, le thermomètre descend à -15°, parfois -25°. Le port de Marseille gèle. A Gonfaron, il y aura jusqu'à 1,50 mètre de neige... En un mois, 4 millions d'oliviers sont perdus. "Ils explosaient comme des grenades", explique Jacques Barbieaux, auteur de "Les oliviers sous la neige", venu à Aups 60 ans plus tard, pour une conférence sur ce terrible hiver, sur invitation de la médiathèque. "Les provençaux racontent que les oliviers pleuraient".

"LES GERANIUMS SONT TOMBES COMME DU VERRE"

Eric a 9 ans quand, au soir du 31 janvier 1956, il quitte son domicile près de La Garde Freinet avec ses soeurs et ses parents, pour aller dîner chez sa grand-mère à Grimaud. Comme de nombreux habitants du coin, ils possèdent une jeep, "seul véhicule circulant aisément dans les châtaigneraies"." Nous sommes rentrés sous un magnifique ciel étoilé", se souvient-il, "mais dans une atmosphère glaciale, emmitouflés dans des couvertures. En arrivant à la maison, ma mère s'est inquiétée des fleurs : ils sont bizarres, ces géraniums, ils ont une drôle de forme. Elle les a touchés, et ils sont tombés comme du verre. Il y avait déjà -14°".

Dans la nuit, la température chute encore... Et la neige tombe. Au matin, à La Garde Freinet, il y en a 5 cm. "Nous n'avions pas l'électricité, nous nous éclairions à la lampe à pétrole. Mais nous avions un groupe électrogène pour pomper l'eau. Mon père est monté dans la jeep pour aller faire les courses, mais il s'est rapidement vautré sur le bas-côté. La voiture est restée là trois semaines". Excellent skieur de randonnée, il chausse ses skis -en bois-, prend son sac à dos, et va se ravitailler au village.

Trois vagues de froid vont se succéder durant ce mois de février, entrecoupées par un ou deux jours de redoux, durant lesquels la population croit voir la fin des intempéries. "Le froid est accentué par le mistral, qui souffle à 80-100 km/h", explique Jacques, "et provoque bientôt des congères impressionnants".

 

DES CENTAINES DE VEHICULES TOMBENT EN PANNE

photo Etienne Gentil Le D.L.
photo Etienne Gentil Le D.L.

Le 17 février, des centaines de véhicules tombent en panne dans la région de Flassans, culasses fendues ou radiateurs explosés. "Parmi eux, Charles Trénet, qui avait chanté la veille à Toulon et devait rejoindre la capitale. Il passe la nuit dans la voiture avec son père, et ne parvient à atteindre Brignoles qu'après dépannage, au petit matin. Le maire et les pompiers le conduisent alors en jeep à Marignane, où il attrape le dernier avion".

Les communications sont coupées : poteaux électriques et téléphoniques à terre. Routes impraticables. "Un chauffeur effectuant une livraison de bouteilles de lait perd tout son chargement : le verre a éclaté.

Plus d'eau. Il faut faire fondre la neige. Les légumes ont gelé dans les potagers. Le petit gibier est mort".

Certaines personnes meurent de froid, et on ne compte plus les accidents. A Saint Tropez, le facteur se tue en faisant sa tournée en vélo. A Toulon, 600 compteurs d'eau éclatent, provoquant des catastrophes.

"Les gens vivent dans l'humidité et dans la boue. A Rians, où il n'y a pas l'eau courante, les habitants ont installé des cuves dans leur grenier. Elles explosent, et l'eau se déverse à l'intérieur des maisons. Les gens resteront dans des glacières pendant 30 jours". Certaines toitures cèdent sous le poids de la neige. "Un employé communal de Gonfaron a vu la poutre centrale de sa remise fléchir dangereusement. La lampe qui y était suspendue, à deux mètres du sol, s'est retrouvée à seulement un mètre".

Les écoles demeurent fermées. L'encre gèle dans les encriers.

SAINT TROPEZ ISOLE PAR UN METRE DE NEIGE

photo internet
photo internet

Eric raconte : " à la fin, nous n'avions plus grand-chose à manger. Nous ramassions les oiseaux morts. Le boulanger, qui ne pouvait plus faire de pain, faute de bois, revendait sa farine... Et nous avons mangé beaucoup de crèpes ! Nous avions deux orangers, qui ont été fusillés, mais un potager, bien exposé, et la neige a relativement protégé carottes et poireaux. Et puis, les voisins nous ont parfois dépannés".

Face à cette situation dramatique, les moyens mis en oeuvre peuvent paraitre dérisoires. Mais heureusement, l'entraide fonctionne. Et la débrouille.

Dans le Var, quelques chasse neige et bulldozers (une dizaine), tentent de dégager les routes, mais les Ponts et Chaussées ne peuvent répondre à la demande, malgré la mobilisation de quelques 700 personnes. Grimaud, coupé du monde, est ravitaillé par des sauveteurs à skis et à dos d'âne. Tandis qu'à Saint Tropez, isolé par un mètre de neige, et où les mouettes gèlent en vol, ce seront des hélicoptères.

"A Saint Martin de Pallières où les oliviers sont plantés en restanques, dit encore Jacques, le village se rassemble pour dégager la neige. Peine perdue. Ils mourront tous, et aujourd'hui la forêt a pris leur place".

Pour se nourrir, on vide les placards de leurs réserves, abondantes à cette époque à la campagne. On broie châtaignes et pois chiches pour faire du pain. Les glands torréfiés remplacent le café.

Pour se chauffer quand le charbon vient à manquer, on brûle les meubles.

On survit... Neuf mois plus tard, on notera une nette augmentation des naissances.

 

LES PAYSAGES SE METAMORPHOSENT

Les conséquences sur l'économie sont énormes. Les cultures sont anéanties. Qu'il s'agisse de l'horticulture, la viticulture, ou l'oléiculture dont vit alors la Provence. Les serres n'ont pas résisté au poids de la neige. Les maraichers ont tout perdu. Même sur la côte, les mimosas et arbres fruitiers n'ont pas supporté les températures polaires. Des oliviers centenaires succombent, fendus par le gel. "Le bois hurlait", disent les paysans.

Dans le Var, près de la moitié du blé ensemencé devra être remis en terre au printemps. "Le ministère de l'agriculture offre des primes à l'arrachage des oliviers dont quatre millions ont été détruits", précise Jacques, "et on plante de la vigne, dont le rendement est plus rapide. On faisait déjà du vin en Provence bien sûr, mais essentiellement pour la consommation familiale. Dès lors, une nouvelle économie se développe. Les paysages se métamorphosent".

UN EPISODE QUI NOUS INTERROGE

Jacques Barbieaux à Aups février 2016
Jacques Barbieaux à Aups février 2016

Pourquoi ce froid exceptionnel par son intensité (jusqu'à -50° dans les Pyrénées espagnoles), sa durée (un mois) et son étendue (toute l'Europe) ? "On a observé une situation inversée", note Jacques. "Il a fait plus doux qu'à l'accoutunée sur l'extrême nord, et nous avons connu des froids polaires".

 

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"Cela reste un épisode qui peut nous amener à réfléchir aux éventuels changements climatiques", souligne encore Jacques. "Notre société actuelle serait-elle plus à même d'y faire face ?"

 

LES OLIVIERS SOUS LA NEIGE  L'HIVER 1956 EN PROVENCE

 

L'ouvrage de Jacques Barbieaux "Les oliviers sous la neige  L'hiver 1956 en Provence", est un roman. "Le héros, Aldo", raconte Jacques,"revient dans la Var pour une histoire d'héritage. Bloqué au village par des conditions météorologiques extrêmes, il va retrouver son histoire familiales, ses racines. J'ai situé l'action à Gonfaron, qui était l'épicentre du froid, et je l'ai écrit comme une chronique quotidienne".

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