Qu'en est-il de l'effet des ondes électromagnétiques sur la santé ? Sous la pression de la population et des associations, on commence à en parler... un peu. Et à légiférer, encore trop peu. Alors qu'avec l'explosion de la 4G sur le territoire, les antennes relais se multiplient et accroissent leur puissance, les personnes électro-hypersensibles n'ont toujours aucun statut médical, et restent condamnées à vivre comme des parias. "Chez nous, on affirme qu'il n'y a pas de preuve de la relation de cause à effet, donc ces gens là n'existent pas", a expliqué Michèle Rivasi, professeur agrégée en biologie, députée européenne et fondatrice du CRIIREM (Centre de Recherche et d'Information Indépendant sur les Rayonnements Electro-magnétiques), à Salernes (83) le 14 novembre 2014. Après la projection du film "Recherche Zone Blanche désespérément", elle a fait part de son projet : la création d'un centre d'études et de soins sur l'électro-hypersensibilité.
UNE POLLUTION INVISIBLE AUX EFFETS MULTIPLES
C'est une pollution invisible à laquelle nul ne peut échapper. Elle a envahi nos villes et nos villages, nos espaces publics et nos maisons, et gagne des coins de nature de plus en plus reculés. Les ondes électromagnétiques font partie de notre vie pour le meilleur et pour le pire. "Un problème de société dont nous sommes tous acteurs".
Quels dangers les rayonnements nous font-ils courir ? Les personnes qui en souffrent se plaignent de symptômes multiples et variés : fatigue, céphalées, acouphènes, vertiges, troubles de la mémoire ou de la concentration, irritabilité, picotements, brûlures, insomnies, problèmes cardiaques, douleurs musculaires ou articulaires...
Dans les cas extrêmes, les électro-hypersensibles ne supportent plus la vie en société où il est impossible de s'isoler des ondes électromagnétiques. Ils ont élu domicile dans des caves, dans des grottes, ou cherchent des "zones blanches" au fin fond des forêts.
Et leur nombre est en constante augmentation, "de 1% à 10% de la population selon les pays", dit Michèle Rivasi qui souligne que "de nombreuses études mettent en évidence les effets biologiques des rayonnements électromagnétiques : sur le système nerveux, la mélatonine (une hormone qui régit le système immunitaire), et la barrière hémato-encéphalique. Et elles montrent également une relation de cause à effet entre l'exposition excessive au téléphone portable, et l'apparition de tumeurs cérébrales comme les gliomes et les méningiomes". Quant aux lignes à très haute tension, elles ont été mises en cause dans plusieurs recherches concernant les risques qu'elles représentent dans le développement de leucémie aigüe chez le petit enfant.
"LES OTAGES D'UNE SCIENCE QUE NOUS NE MAITRISONS PAS"
L'électricité est à la base même de la vie. Notre planète baigne dans des champs électriques, et nos organes communiquent entre eux par des signaux électriques. Il s'agit là de champs naturels continus, à très faible voltage.
Les courants artificiels créés par les réseau électriques, appareils ménagers, écrans vidéo, téléphones portables et sans fil, antennes relais, système WiFi... sont alternatifs et de voltages élevés. Ils sont susceptibles d'interférer avec ceux de l'organisme, avec des répercussions plus ou moins importantes sur la santé.
"Entre 1997 et 2002", raconte M.Rivasi, "j'avais déjà été interpellée par des éleveurs qui travaillaient à proximité de lignes à haute tension. Ils se plaignaient d'avoir des bêtes malades, des avortements spontanés et des rendements minables avec leurs vaches laitières. Ils avaient intenté des procès à EDF, qu'ils avaient toujours perdus".
Dans les années 2000, avec le développement de la téléphonie mobile, la question se pose : le téléphone portable est-il
dangereux ? En juin 2000, lors d'un colloque organisé et présidé par le groupe d'études Santé Environnement de l'Assemblée nationale, Pierre Lellouche, député de Paris note :
"Les chercheurs sont confrontés à une foule de
résultats contradictoires. Nous sommes donc les otages d'une science que nous ne maitrisons pas. Il est d'autant plus difficile
pour nous d'intervenir dans le débat, malgré la pression de l'opinion publique, que les enjeux économiques et l'irruption du téléphone portable dans la vie quotidienne de nos concitoyens sont
impressionnants". M.Rivasi précise quant à elle : "En tant que scientifique et députée, je suis un peu surprise que tout le monde reconnaisse qu'il
existe des effets biologiques sans pour autant reconnaitre un effet sanitaire. Le problème est que nous n'avons pas assez de recul par rapport aux études épidémiologiques pour pouvoir conclure.
Certains ont été surpris par les différences entre les conclusions des scientifiques intervenus ce matin, mais je crois qu'il faut d'abord se demander :
qui finance quoi ? Qui est payé par qui ? Et quel
est le poids des lobbies dans la prise de conscience des élus?
POUR UNE LEGISLATION UNIFORMISEE
En 2009, se déroule le "Grenelle des ondes". "Des scientifiques indépendants réclament alors un niveau d'exposition de la population n'excédant pas 0,6 volts/mètre, alors qu'en France, nous sommes à 41v/m pour les 900 MHertz, ce qui est très haut. Avec la 3G, nous sommes à 61v/m pour 2000 MHertz".
Actuellement, il n'y a pas d'harmonisation des niveaux autorisés en Europe. Huit états ont fixé des valeurs limites inférieures à celles recommandées par la Commission Internationale sur la Radio Protection Non Ionisante (ICNIRP), soit 41v/m pour 900 MHertz. A Bruxelles par exemple, le seuil est de 3v/m. "En ce moment, nous insistons toujours pour une législation commune", dit M.Rivasi, qui attaque en parallèle avec une initiative citoyenne européenne : "il faut un million de signatures sur 7 états membres pour obliger la Commission Européenne à légiférer".
Depuis avril 2011, les opérateurs ont obligation d'indiquer sur leurs lieux de vente et dans leurs modes d'emploi le DAS (Débit d'Absorption Spécifique) des téléphones portables. Un indice précisant la quantité d'énergie émise par l'appareil. "Plus le DAS est faible, moins le cerveau subit de rayonnements".
Depuis 2013, impossible de faire intervenir le maire pour déplacer une antenne relais. Il a perdu toute compétence dans ce domaine : "Les fréquences radioélectriques appartiennent au domaine public de l'État. Celui-ci a confié à l'Agence nationale des Fréquences des missions de planification, de gestion de l’implantation des émetteurs, de contrôle et enfin de délivrance de certaines autorisations et certificats radio."
Avec l'arrivée des écologistes au parlement européen et la proposition de loi de Laurence Abeille, députée de la Marne, on aurait pu espérer une avancée significative en matière de réglementation. "Mais au final, la loi de décembre 2012 a été vidée de sa substance. Alors qu'il était question de réduire l'exposition à 0,6 v/m, le texte ne parle plus que de "modération" : les seuils ne sont pas abaissés. La publicité pour les téléphones portables à l'adresse des moins de 14 ans est interdite. Les équipements WiFi prohibés dans les établissements accueillant des enfants de moins de 3 ans. Enfin, en ce qui concerne l'électro-hypersensibilité, la loi précise : "Ce mal du siècle doit être mieux appréhendé, étudié et traité. L'article L. 524-9 propose un rapport relatif à la reconnaissance de cette pathologie comme handicap environnemental. Il est également nécessaire que des solutions soient trouvées pour les personnes qui souffrent de cette pathologie ; l'expérimentation des zones blanches en fait partie."
UN PROBLEME AU NIVEAU DE L'ENSEIGNEMENT "SANTE-ENVIRONNEMENT"
" En Suède, où le Pr. Olle Johansson a particulièrement étudié la question", souligne M.Rivasi, "l'électro-hypersensibilité est reconnue comme handicap, ce qui implique un droit à des aides et assistances. En France, rien de tel."
Certains d'entre eux en sont venus à quitter travail, logement, famille, pour se réfugier dans des zones aussi protégées que possible. Quelques uns ont témoigné à Salernes, comme Christophe, malade depuis 6 mois : "D'un seul coup, on est prisonnier à l'extérieur. On se fait traité d'allumé, on se fait jeter, on est des pestiférés... Je suis dans le désarroi le plus total." Ou comme Laurence : "Devenir électro-hypersensible, c'est tout perdre. On ne peut survivre nulle part. On ne voit pas d'avenir..." Ou encore cet homme dont la femme, électro-hypersensible depuis 7 ans, vit aujourd'hui dans une grotte de la Nesque, dans le Vaucluse : "Il m'a fallu un certain temps pour comprendre et accepter la situation. J'ai de grandes difficultés à assurer sa survie. Depuis 3 ans, nous cherchons un endroit sûr, où elle pourrait résider. J'ai même pensé utiliser des bâtiments de l'armée à l'abandon. Cela m'a été refusé pour des questions de responsabilité... Dans son cas, on a pu remarquer l'aggravation de son état de santé par deux fois, à la suite de séances chez le dentiste, avec retrait d'amalgames dentaires au mercure..."
"A propos des amalgames", reprend M.Rivasi," la Convention de Minamata signée par de nombreux pays dont la France fin 2013, prévoit, entre autres, l'abandon progressif des
produits contenant du mercure. En ce qui concerne les amalgames dentaires, l'interdiction se fait toujours attendre..." (Actuellement, la
Convention n'a été ratifiée que par les USA).
"L'histoire de cette dame montre qu'il y a rarement une cause et un effet direct, mais plutôt un ensemble de facteurs entrainant un effet domino. Le corps de
chacun réagit différemment, et on peut aussi évoquer la prolifération des
maladies auto-immunes. Le Dr. J.Pierre Maschi, qui a lancé
l'expression "électro-smog", pensait que la sclérose en plaques
pouvait avoir un rapport avec les rayonnements électromagnétiques. Il recommandait à ses patients de marcher pieds nus pour
évacuer les charges électriques. Radié de l'ordre des médecins en 68, il sera amnistié, puis réhabilité en 2002. L'électro-hypersensibilité est souvent abordée comme une question psychiatrique.
Il faut dire que nous avons un problème au niveau de l'enseignement "santé-environnement", que l'on retrouve quand il s'agit de traiter les perturbateurs endocriniens, par
exemple."
UN SITE PILOTE EUROPEEN
Michèle Rivasi a rendu visite aux électro-hypersensibles près de Saint Julien en Beauchêne, dans les Hautes Alpes, et depuis 3 ans, elle travaille à la création d'un centre d'accueil dans cette commune, sur le site de la chartreuse de Durbon. "Il s'agit d'un ancien centre de vacances de la Caisse d'Allocations Familiales de Marseille, favorable au projet, mais qui doit lancer un appel d'offres. Bien sûr, les bâtiments doivent être rénovés. Mais les murs sont épais, et nous pourrions y installer un chauffage au bois. Avec l'accord de l'Etat (je dois rencontrer Ségolène Royal la semaine prochaine à ce propos), et la collaboration de l'ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire), nous voulons monter une Société Coopérative d'Intérêt Collectif (SCIC) réunissant élus, scientifiques, et associations. Reste aussi à s'assurer du concours des opérateurs de téléphonie mobile". Ce site pilote européen accueillerait les électro-hypersensibles pour quelques mois. "Le temps pour eux, déjà de se ressourcer, de procéder aussi à des études sérieuses, et d'entreprendre des soins. D'après le Pr. Dominique Belpomme, la personne qui a le plus de données en France sur la question pour avoir examiner entre 600 et 1000 patients, prise assez tôt l'électro-hypersensibilité serait réversible".
SAVOIR PLUS
"Cherche zone blanche désespérément"
"Voici un sujet émergeant et encore
mal connu.Qui sont ces personnes électro-hypersensibles dont les médias parlent de temps à autre ?
Alerté sur ces questions par une amie qui
était devenue elle-même électrosensible, le réalisateur de ce film a mené l’enquête pendant plus de deux ans et rencontré un peu partout en France mais
aussi à l’étranger une soixantaine d’« EHS » c’est-à-dire de personnes devenues électro-hypersensibles aux champs électromagnétiques.
Pour les électro-hypersensibles,
en tout cas, il y a urgence !"
film documentaire