"Tu manges comme tu sèmes" (proverbe lybien)
C'est le thème de ce film d'Honorine Périno, présenté par Gérard Boinon, paysan retraité et ancien secrétaire général de la Confédération Paysanne, et Claire Chanut du Mouvement "Femmes semencières", à Sillans, le 11 mars 2018. Il nous offre deux visions contradictoires de l'agriculture : une agriculture chimique et industrielle, fabriquée en laboratoire par des scientifiques . Une agriculture paysanne issue de pratiques ancestrales, dans le respect de la biodiversité. D' 'un côté, un monde où règnent les lois du Profit. De l'autre, les lois de la Vie.
CONTROLER L'ENVIRONNEMENT
Créé en 1932, le catalogue national officiel des semences comprend plus de 7000 variétés, et le GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences et plants),placé sous la tutelle du Ministère de l'Agriculture voit le jour en 1941. Son rôle : organiser la production et la commercialisation des semences et des plants. En 1962, la création du SOC (Service Officiel de Contrôle) en son sein, lui permet d'étendre ses pouvoirs au contrôle de la qualité des semences et à leur certification.
“Les semences brevetées donnent des légumes homogènes, tous semblables sur la planète entière, et de longue conservation”, explique Laurence Camilleri, femme semencière au jardin participatif de La Ciotat (13) “Semons le coeur du monde”. “Car les processus de sélection n'obéissent qu'aux seuls critères de l'industrie”.
La France demeure le premier exportateur mondial de semences en grandes cultures, devant les USA et l'Allemagne. “Pour quel type d'agriculture ?” interroge Gérard. “Une agriculture industrielle qui a recours à l'énergie fossile.
Le directeur des relations extérieures du GNIS, François Burguaud, se targue d'être à l'écoute de l'Homme. “Homo Sapiens a gagné contre les autres hominidés, car il a décidé de contrôler au maximum son environnement”. Il fait partie de cette catégorie de personnes qui ne parlent de la Nature que pour la maitriser... En sélectionnant ainsi les graines, le GNIS a voulu “purifier le vivant, posséder une traçabilité de ce qui circule sur le territoire national...et pour lui, seul le généticien dans son laboratoire peut améliorer une plante pour en faire une plante supérieure”.
L'Etat s'arroge ainsi le doit de choisir les variétés “intéressantes” : homogènes, stables, de longue conservation, et non reproductibles. Ce qui oblige les agriculteurs à en racheter chaque année.
LE PROGRES : UNE LUTTE CONTRE LA NATURE ?
Les semenciers ont rendus les paysans entièrement dépendants, au nom du sacro-saint Progrès, derrière lequel se dissimule le non moins sacro-saint Profit.
“Le progrès est la lutte contre la Nature" : voici une idée largement répandue dans nos sociétés occidentales”, explique Pierre Henri Gouyon, du Museum d'Histoire Naturelle de Paris.
C'est en son nom qu'ont été créées les plantes OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) dans les années 80. Interdites de culture en France... mais leur importation est autorisée pour nourrir le bétail ! Ce qui n'empêche des “essais” sur notre territoire. Gérard, alors secrétaire général de la Confédération Paysanne, se souvient avoir été le premier faucheur volontaire d'OGM en France, à Saint Georges d'Espéranche, dans le nord de l'Isère, en 1997. “Il s'agissait de 2 ha de colza, plantés illégalement. Nous avions demandé sa destruction. Sans résultat...”
Il faut savoir que 98% des OGM sont des plantes pesticides.
Cela peut être une plante qui résiste à un herbicide (en général le Round Up, dont le principe actif est le glyphosate). “Quand les plants de maïs ont poussé, on pulvérise le Round Up qui tue tout, sauf le maïs. Mais le glyphosate est un produit systémique, c'est-à-dire absorbé par la plante et véhiculé par la sève. Le maïs résistant n'en a pas moins reçu sa dose... et il nourrit le bétail”.
Cela peut-être aussi une plante qui va pouvoir résister à un ravageur, comme la pyrale du maïs. “Le maïs traité produit alors lui-même son insecticide, comme la vipère produit son venin. Il empoisonne la pyrale”... Quel quantité d'insecticide produit ce maïs OGM ? “Jusqu'à 5 tonnes de toxines à l'hectare... et il nourrit le bétail”.
Sans compter les OGM qui ne disent pas leur nom : les plantes mutées comme le tournesol ou le colza, que l'on retrouve dans nos assiettes. Ces plantes ne sont pas obtenues par transgénèse (introduction d'ADN d'une autre espèce), mais mutagénèse, leurs gènes étant transformés par projection de rayons X, agents chimiques ou pesticides.
Les partisans d'une agriculture chimique et industrielle défendent l'idée que c'est la seule façon de sauver le monde de la faim. “Nous sommes un peu plus de 7 milliards d'individus, dont un milliard trois cents millions de paysans actifs”, souligne Gérard. “Or, combien sont motorisés ? 28 millions, soit 2% ... Cette agriculture crée la faim dans le monde !”
QUELLE SOUVERAINETE ALIMENTAIRE ?
Claire s'inquiète qu'au-delà de la disparition de la biodiversité, on assiste à la perte des savoir-faire liés à la reproduction de la plante.
“Aujourd'hui, tout est légiféré sur la planète. Travailler sur des semences paysannes vivantes, c'est se mettre, pour des professionnels, hors la loi ; seuls les particuliers sont autorisés à les reproduire”. Petit à petit, les semenciers industriels s'emparent également du bio. Que se passent-il quand on a modifié le génome d'une plante pour qu'elle puisse absorber ou produire tous ces produits chimiques ? Quelles sont les répercussions sur nos organismes ? “Avec les perturbateurs endocriniens, certaines maladies explosent...”
Le “Mouvement des femmes semencières” nait en Inde il y a 11 ans. “Là-bas”, raconte Claire, “les lobbies ont apporté les OGM aux paysans lors de la Révolution Verte, leur promettant de meilleurs rendements, des gains extraordinaires... mais par ailleurs, ils raflaient toutes les semences reproductibles ! L'euphorie n'a duré que les deux premières années, quand les agriculteurs ont eu des bénéfices leur permettant de racheter des semences, et de payer les intrants chimiques”. Mais rapidement le système s'effondre et l'on assiste à une vague de suicides des paysans... avec le Round Up.
Cependant, la résistance s'organise, comme au Burkina Faso, contre le coton de Monsanto, un coton aux fibres courtes et cassantes, une variété qui produit son propre insecticide, imposé aux paysans en 2008 : “Un gigantesque fiasco agro-industriel qui a fait tanguer toute l’économie agricole du pays. » (bastamag) Les paysans ont mis Monsanto dehors.
Ou encore en Argentine, où est cultivé du soja OGM : « le glyphosate était déversé par avion à raison de 12 à 16 litres à l'hectare, dans la province de Cordoba. La population a obtenu une interdiction d'arroser au passage les villages environnants..."
“Comment peut-on parler de souveraineté alimentaire, quand on se fait déposséder du patrimoine inestimable que sont les semences ? C'est notre patrimoine d'humain”, souligne Claire qui parle de semences paysannes patrimoniales ; “nous avons quelques 12 000 ans d'agriculture derrière nous”.
Laurence insiste : “Ce sont nos racines, toute l'évolution de notre culture qui se trouve dans ces semences. Elles possèdent des qualités nutritionnelles, vibratoires et d'adaptation indispensables à l'existence. Dans la graine, réside tout le mystère de la Vie. Les semences du Futur, ce sont les semences du Coeur”.
KRISPR-CAS9 : DES CISEAUX A DECOUPER L'ADN
Cette nouvelle technique de modification du génome, découverte en 2012 par une française, Emmanuelle Charpentier et une américaine, Jennifer Doudna, risque bien de changer la face du monde. Découverte à l'occasion de l'étude du système immunitaire des bactéries, cette méthode permet de modifier spécifiquement le gène ciblé dans des cellules de plantes, d'animaux et d'humain, grâce à des "ciseaux à découper l'ADN". « Jusqu'à présent », souligne Claire, « les OGM étaient réservés à la lourde industrie, car leur traitement était difficile à réaliser, long et coûteux. Tandis que maintenant, cela devient facile, rapide et bon marché . L'étape suivante est le brevetage et l'appropriation du vivant ».
Les scientifiques se réjouissent de cette découverte, et mettent en avant les applications qui vont en découler pour éradiquer cancers et maladies orphelines... Bien sûr, les modifications du végétal sont en première ligne, et à l'INRA (Institut National de la Recherche Agronomique)d'Avignon, les modifications du génome selon Krispr-Cas9 sont en cours... Quelles conséquences à long terme pour ces modifications transmissibles ?
LE FILM
Gérard tient à souligner que la réalisation du film n'a pas toujours été facile. « Nous voulions donner la parole aux paysans et aux industriels, mais avec ces derniers, cela a été très compliqué. Le service communication de chaque entreprise était omniprésent, et ne nous a pas laissé filmer tout ce que nous désirions. Nous avons dû leur fournir une liste de questions à l'avance, qui ont été triées... Et nous n'avions pas le droit de rebondir après les réponses ».
Le film a représenté un énorme travail : « il a fallu visionner 70 heures de rushs pour 1h20 de film... »
Son coût : 70 000 euros, « en principe subventionnés par la Région Rhône-Alpes, avec laquelle nous avions un contrat sur 3 ans. La première année, pour l'écriture du scénario, la seconde, pour le tournage. Puis la Région Rhône-Alpes est devenue Auvergne-Rhône-Alpes, avec Laurent Wauquiez comme président et il a refusé d'honorer la signature de ses prédécesseurs. Il nous manquait 15 000 euros pour réaliser le montage. Nous n'avons pu achever le film que grâce à un financement participatif, ce qui a apporté un certain retard dans nos prévisions ».
CLAIRE CHANUT : UNE AUTONOMIE SEMENCIERE
Paysagiste à l'origine, Claire Chanut accepte en 2011 et à la demande de Pierre Rabhi, d'accompagner le développement du Mouvement des Femmes Semencières. « Car ce sont les femmes qui, traditionnellement, se sont toujours occupé des graines, que ce soit pour leur sélection ou pour leur conservation. Elles sont les gardiennes de la vie... Mais notre Mouvement comprend aussi des hommes ! » Partage des connaissances, soutien à des projets concrets, échange de semences... « Nos actions se déroulent au hasard des rencontres... »
GERARD BOINON : LES PAYSANS SONT LES PREMIERES VICTIMES
Gérard s'installe en 1972 en agriculture chimique industrielle, persuadé que c'est le moyen de vaincre la faim dans le monde. « J'y croyais », dit-il, « j'avais même une porcherie avec des cochons sur caillebotis ». Mais en 1984, il est hospitalisé en urgence pour une urticaire géante et oedème de Quincke. Une réaction aux pesticides dont il réchappe, mais garde, encore actuellement, de sérieuses séquelles. Dès lors, il change radicalement ses méthodes de culture. Il travaille avec la Nature : les oiseaux, mésanges bleues et charbonnières, ainsi que rouges gorges, qui éliminent les insectes nuisibles. « Contre la pyrale du maïs, il y a les trichogrammes, des insectes qui pondent dans l'oeuf de la pyrale, entrainant sa destruction... »
Aujourd'hui, il est consultant au Conseil des Droits de l'homme de l'ONU à Genève, et participe à l'écriture de la Convention des Droits des Paysans : droit à la terre, droit aux semences, droit à la diversité biologique... Il s'agit « de renforcer la paysannerie pour atteindre la souveraineté alimentaire des peuples » (réseau semences paysannes). Une convention difficile à faire accepter : " Les USA, le Canada, le Japon, l'Europe... sont contre, mais j'ai quand même bon espoir". Les négociations sont toujours en cours...