HAUT VAR

La figue blanche : emblématique de Salernes

Un terrain argilo-calcaire et de l'eau en abondance : deux atouts majeurs du bassin salernois pour la culture de la figue, qui connait son heure de gloire en 1945, avec l'ouverture de la "Société Coopérative Confiturerie et Confiserie du Haut Var".

Un accident technique cinq ans plus tard va mettre fin à cette période de prospérité, et ce n'est qu'en 2002 que l'association "Lou Figoun" relance production et commercialisation de la figue blanche de Salernes. "Une variété reconnue officiellement depuis 1820", comme l'a souligné Suzanne Lerda, lors d'une conférence à Sillans, en septembre 2016.

UN TERRAIN ARGILO-CALCAIRE ET DE L'EAU

la Brague
la Brague

"Le sol salernois, argilo-calcaire, facilite la croissance des espèces emblématiques de Méditerranée : figue, olive et raisin", explique Suzanne. L'argile, qui est également à l'origine de l'essor de la céramique, a servi à confectionner des jarres pour la conservation des aliments, et à la cicatrisation des plants. Le bassin de Salernes est copieusement arrosé : la Bresque, le Pelcourt, la Brague... "Toutes les sources, sauf celle de la Bresque ont été aménagées en canaux d'irrigation permettant la fertilisation des restanques et des plantations de vergers.

C'est encore l'eau qui fait fonctionner les moulins à huile (il y en avait 10 à Salernes), les minoteries (2), les draperies (5), et plus tard, les usines à céramique".

DANS LES BAGAGES DES PHOCEENS

corbeille de figues dans la Rome antique image internet
corbeille de figues dans la Rome antique image internet

"600 ans avant notre ère, les Phocéens débarquent à Marseille, la figue dans leurs bagages : un fruit très facile à transporter séché, énergétique, et une monnaie d'échange contre les produits locaux". Rapidement, elle se propage. Mais ce sont les romains qui généralisent sa plantation au fur et à mesure de leur progression en Provence, puis dans toute la Gaule. "On retrouve les figues issues de la variété phocéenne jusqu'en Angleterre, et aux confins de la Germanie. La figue sèche est alors le principal constituant de la ration des centurions".

Suzanne Lerda conférence à Sillans sept. 2016
Suzanne Lerda conférence à Sillans sept. 2016

La "figue de Marseille" est alors plantée à Salernes. Mais lors d'une campagne en Italie qui va durer 8 ans, Boniface IV de Castellane souverain de Provence, s'intéresse à l'agriculture locale, et à la figue qu'il rapporte à Salernes. Plantée autour du château féodal en pleine reconstruction, elle deviendra "la figue de Salernes". Les agriculteurs s'organisent, et fabriquent des séchoirs installés sur les restanques. "Les figues, placées sur des canisses, sont rentrées tous les soirs. On a retrouvé un séchoir, sur la commune d'Entrecasteaux. Plus tard, les céramistes s'en inspireront pour faire sécher leurs malons".

Au Moyen Age, la figue est déjà récoltée en quantité suffisante pour être exportée en Provence, essentiellement vers Apt, et bientôt au-delà. "Les figues sont alors confites dans le miel, et possèdent une haute valeur énergétique. Elles peuvent accompagner gibier ou poisson".

La famille De Castellane, installée sur la région, exploite elle-même la figue : séchée, cuite et confite. Et c'est au cours d'unions seigneuriales successives, que la figue s'installe à Entrecasteaux, puis Cotignac. "C'est ainsi que l'on parle alors du "Triangle d'or salernois" de la figue".

LA FIGUE AU JARDIN DE VERSAILLES

le jardin de Versailles image internet
le jardin de Versailles image internet

Lorsque la Provence est rattachée à la couronne de France, la figue, sèche et confite, est commercialisée dans l'ensemble du pays.

Lors de sa visite à Cotignac en 1660, Louis XIV découvre la figue. Séduit, il réclame l'envoi de caissettes de figues à Paris, bientôt imité par les seigneurs de la cour, ainsi que de plants qui seront repiqués au jardin de Versailles.

"En 1820, la figue blanche de Salernes est répertoriée dans le dictionnaire de sciences naturelles. La variété est reconnue, différente de la figue marseillaise".

L'exportation s'intensifie avec la construction de la ligne de chemin de fer, qui offre de nouveaux débouchés.

"En 1945, les figuiers donnent tant de fruits à Salernes et aux alentours,  Saint Antonin, Entrecasteaux, Cotignac (on compte 100 tonnes de fruits rien que sur la commune), que le maire crée la "Société Coopérative Confiturerie et Confiserie du Haut Var".

Malheureusement, cette période de prospérité prend fin brutalement 5 ans plus tard, lorsque la chaudière, mal entretenue, explose. "73 tonnes de figues étaient attendues sur Paris. Elles sont perdues, faute de fonds indispensables pour la réparation. Les coopérateurs, payés après transformation des fruits, perdent tout. La confiturerie ferme ses portes, et deviendra une usine d'anchois".

Si le marché existe encore (Apt, Avignon, Clermont Ferrand), ce sont désormais les maquignons qui fixent les prix "les plus bas possibles". La cueillette des fruits n'est plus rentable, et les arbres sont délaissés au profit de l'olivier et de la vigne alors en pleine expansion.

UN SECOND SOUFFLE

stand "Lou Figoun" à Sillans
stand "Lou Figoun" à Sillans

En 2002, Nathalie Pomero, petite fille d'agriculteur, monte une association "Lou Figoun", afin de négocier les prix directement avec les confiseurs. "A ce jour, "Lou Figoun" regroupe une vingtaine de coopérateurs (25 cette année), et commercialise 12 à 17 tonnes de figues par saison pour les villes d'Apt, Grenoble, Oraison, Mende, Nice, Clermont... pour une transformation en pâte de fruits, confitures et figons confits. Le figon, jeune figue, se prête particulièrement au confit, avec sa peau fine, mais résistante à la cuisson".

L'association ne se contente pas de collecter les fruits. Elle a également pour but la sauvegarde de cette variété dans le bassin de Salernes, et sa commercialisation.

De croissance assez rapide, le figuier peut donner 50 à 60 kilos de fruits dans les 10 ans. On compte en France quelques 800 espèces de figues toutes variétés confondues. "La figue blanche de Salernes apparait au départ d'un vert très pâle, puis jaune à jaune-beige à maturité. La cueillette s'étale de mi-août à fin septembre et il est bon de prendre quelques précautions, car le lait, ou latex, qui s'écoule du pédoncule coupé, ainsi que les feuilles, peuvent provoquer des irritations cutanées. En contrepartie, le lait favorise l'élimination des verrues, et s'utilise en industrie pharmaceutique".

 

Dans un local prêté par la commune, les figues sont réceptionnées, pesées et mises en cagettes, pour être expédiées chez les confiseurs en camion réfrigéré. "Elles ne se conservent pas plus de 24h, même en chambre froide".

Elles deviendront fruit confit glacé, figon confit, figue séchée, confitures, nougats et sirop. "Nous avons des figounettes, réalisées avec 400g de sucre par kilo de fruits, et qui n'ont subi que 3 cuissons au lieu de 5. Le sirop peut s'utiliser en boisson, bien sûr, mais aussi dans des glaces, yaourts, pour arroser les rôtis ou mélangé à des farces. Nous souhaitons remettre la figue au goût du jour, y compris dans les restaurants", conclut Suzanne.

image internet
image internet

 

 

LA FIGUE : UN PETIT NID D'AMOUR

La figue n'est pas un fruit, mais une petite urne charnue contenant des milliers de fleurs minuscules. La pollinisation fait appel à une interaction complexe entre la plante et un insecte, le blastophage, seul à pouvoir pénétrer dans le fruit. En retour, la figue l'abrite et le nourrit. Une union chantée par A.Gide :

 

 

 

                                        "Je chante la figue...

                                        Dont les belles amours sont cachées.

                                        Sa floraison est repliée.

                                       Chambre close où se célèbrent des noces :

                                       Aucun parfum ne les conte au-dehors.

                                       Comme rien ne s'en évapore,

                                      Tout le parfum devient succulence et saveur".