Le loup avait fait sortir les éleveurs de leurs bergeries le 26 mars 2012, et une centaine d'entre eux, venus de la région Provence Alpes Côte d'Azur, et parfois au-delà, ont défilé avec quelques 500 brebis dans les rues de Brignoles (Var), avant de se retrouver à la foire pour un débat plutôt houleux. Une action organisée par la Confédération Paysanne, et la Fédération Ovine du Var. Depuis sa réapparition dans le sud-est de la France il y a vingt ans, le loup prolifère et agrandit sans cesse son territoire. Les bergers présents l'ont clamé haut et fort : la cohabitation avec leurs troupeaux pose problème. Les moyens de protection mis en place "restent inefficaces"... Pour Hervé Boyac, vice-président de l'association Ferus, association nationale de protection et de conservation du loup en France, il faut placer le problème du loup dans le contexte d'un élevage en difficulté, et ne pas faire de Canis Lupus, un bouc émissaire.
UNE SITUATION INCONNUE DU GRAND PUBLIC
"Nous souhaitons aller à la rencontre du grand public pour expliquer
nos problèmes quotidiens", ont déclaré Francis Girard, porte parole de la Confédération Paysanne, et Philippe Fabre,
président de la Fédération Ovine du Var ; "l'initier à ce qu'est ce grand prédateur, et montrer les difficultés d'un travail
avec lui".
Répandu essentiellement dans l'arc alpin, le loup a commencé à descendre vers Canjuers il y a cinq ans.Après avoir occupé les estives, il colonise vallées et plateaux. Il arrive aux portes d'Avignon et
de Manosque. On a décelé un moment sa présence à la Sainte Baume... Sept à huit loups vivent dans le Var, principalement dans le camp militaire de Canjuers, région où la protection du troupeau
est difficile à assurer de par l'embroussaillement. "Le loup
est une espèce protégée, mais il n'est pas en voie d'extinction", souligne un éleveur. "Pourquoi ce
choix en sa faveur. Nous avons suivi les consignes : parcs, filets, chiens de protection, tirs d'effarouchements... Le loup s'attaque encore à nos troupeaux,
et les élus ferment les yeux..."
ELEVAGE EXTENSIF ET PASTORAL
En septembre 1979, la Convention de Berne, ratifiée par la France, classe le loup "espèce strictement protégée", et en juillet 1993, un arrêté vient assurer sa protection juridique totale chez nous. Cependant le tir d'un
loup peut-être autorisé s'il n'existe pas d'autre solution pour assurer la sécurité des troupeaux ou du public, et sans nuire à la survie de l'espèce. Une dérogation accordée par le
préfet.
Combien avons-nous de loups en France ? "Il est difficile de les chiffrer", remarque J.François Bataille, de l'Institut de l'Elevage ; "200 à 250 environ en 2011. Le loup est un animal
sauvage, furtif, grand prédateur et carnassier. Il dévore 5 à 6 kilos de viande par jour. Il vit en meutes, fixées sur un territoire, mais on rencontre aussi quelques individus isolés. En
théorie, leur population double tous les trois ans ; mais ce n'est pas le cas dans la réalité". Face au loup, les éleveurs. "Ils étaient 2400 en région PACA en
2011, en élevage ovin pastoral, avec 740 000 brebis. Ils ont une forte empreinte territoriale, façonnent les paysages et rendent des services
environnementaux, comme l'entretien des parcelles contre les incendies. Leur situation économique est souvent précaire. Essentiellement producteurs de viande d'agneau, ils ont tous une
caractéristique commune : pratiquer l'élevage extensif et pastoral. Ils sont confrontés au loup parfois 365 jours par an".
UNE PROTECTION DES TROUPEAUX REMISE EN QUESTION
"La protection des troupeaux, telle qu'elle est conseillée, demeure impuissante", se sont plaints les bergers. Le parcage la nuit ? "Une contrainte qui rallonge le temps de travail, augmente le risque d'érosion du sol par des allées et venues répétées sur les mêmes chemins, et provoque l'accumulation de déjections animales dans les parcs" précisent les éleveurs. Les patous ? "Quand le troupeau a été attaqué 3 ou 4 fois, les patous refusent de retourner sur le terrain à risque, qu'il faut abandonner", note un berger. "On se fait de nous une image d'Epinal, on nous voit cool dans la montagne : une image de paix. Où elle est la paix ? Nous sommes toujours sous tension". D'autres éleveurs ont mis en avant les problèmes créés par les chiens eux-mêmes, vis à vis des voisins, des randonneurs, des chasseurs... Les aide-bergers ? Ils ne sont pas toujours" compétents..." ont-ils grommelé, "et les techniciens spécialisés sont trop peu nombreux". Selon leurs dires, la protection d'un élevage de 500 brebis et 500 agneaux, dont le coût s'élève à 9200 euros par mois, n'atteint pas son but.
nombre de victimes indemnisées dans le Var en 2011 : 70 brebis sur 706 déclarées pour les pertes directes : indemnités versées : 111 974 euros forfait pour les brebis disparues : indemnités versées : 21 434 euros pour les pertes indirectes : indemnités versées : 69 917 euros soit un total de : 203 325 euros |
QUI DOIT REGLER LE PROBLEME ?
Alors, qui doit régler le problème ? Se sont interrogés les bergers. "L'éleveur, qui doit se balader un fusil dans le dos", comme a dit un intervenant. "L'Etat, qui doit protéger les biens et les personnes", selon un autre. Faut-il "faire appel aux chasseurs ?" Ou "à Bruxelles ?" comme il a été suggéré. "Réactiver les louveteries ?", comme certains le demandent. "Regarder du côté de l'Italie, où le braconnage est passé sous silence..." "Prendre exemple sur les USA ?", comme l'a proposé Marc Vincent, technicien à l'Institut National de la Recherche Agronomique :"Là-bas, on élimine les loups qui s'attaquent aux troupeaux, pour ne conserver que ceux qui se nourrissent de faune sauvage".
REAPPRENDRE A VIVRE AVEC LE LOUP
Hervé Boyac, vice-président de l'association Ferus, invité à ce débat, n'a pu terminer ses explications sur place tant l'ambiance était explosive... Il admet les prélèvements effectués par des loups sur les troupeaux, mais insiste sur le fait qu'il faut remettre ce problème dans le contexte général de l'élevage. "Dans notre région, le contact avec le loup a été perdu durant cinquante ans. Il faut réapprendre les anciennes pratiques, les anciens réflexes. Rappelons-nous qu'il y a 150 ans, la France comptait 30 millions d'ovins, et 20 000 loups. Il est évident que les brebis sont une proie facile, et le troupeau a besoin de la présence permanente d'un berger".Le loup attaque souvent la nuit, au lever du jour ou au crépuscule, ou encore par temps de brouillard, de préférence en zone boisée, ce qui lui permet de se dissimuler en préparant une attaque. "Certains éleveurs souffrent plus que d'autres, selon la région où il se trouvent, comme à Canjuers, et selon la taille du troupeau : un effectif de 3000 brebis, par exemple, est plus difficile à surveiller. La notion de nuisible, souvent invoquée à propos du loup, ne repose sur aucun fondement biologique, et le loup a son rôle à jouer dans la nature. C'est un prédateur nécessaire, régulateur de proies sauvages, consommateur de charognes. Il a sa place dans la chaine de la vie".
UN ELEVAGE EN DIFFICULTE
"En France, l'élevage ovin est en crise", constate
Hervé. "40% de notre consommation vient de la production locale. Le reste est importé".
En 1980, l'élevage ovin pour la viande rentre dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC). La perte subie par l'ouverture des marchés est
alors compensée. "Une Prime Compensatrice Ovine (PCO) est versée
pour ajuster la recette finale de l'éleveur à une moyenne communautaire. Une prime liée au marché par son indexation au cours de l'agneau, mais également attribuée
au nombre de brebis. Elle représente un soutien direct au revenu des éleveurs".( "Aspects juridiques de la conservation des grands prédateurs en France")."Soit 25% à 30% de leurs revenus", précise Hervé. "Et il faut y ajouter l'Indemnité Spéciale Montagne (ISM), qui compense les handicaps du
milieu naturel. Ces primes cumulées représentent alors environ la moitié des revenus des éleveurs ovins en montagne". Hervé
note qu"'il existe des éleveurs qui ne
se maintiennent que grâce aux aides associées à la présence du loup". Les éleveurs perçoivent des subventions pour embaucher des aide-bergers, moderniser leurs cabanes, acquérir des chiens, améliorer l'accès aux
bergeries... L'Etat dépense actuellement 6 millions d'euros par an pour les problèmes du
loup, et 1 million d'euros pour les dégâts qui lui sont attribués, qu'il s'agisse de brebis tuées ou disparues. Les pertes indirectes sont comptabilisées : avortement suite au stress, bêtes
piétinées dans la panique d'une attaque... 80% des frais liés au loup concernent l'équipement."
Hervé reconnait les difficultés au quotidien des éleveurs, avec "des alpages mis aux enchères, des cabanes mal entretenues, voire jamais rénovées, des points d'eau
éloignés... Les dirigeants agricoles pourraient mettre l'accent sur cette absence de confort minimum. D'autre part, ils ne peuvent ignorer la mévente, la concurrence étrangère, le problème des
chiens errants... pour se focaliser sur le loup".
LE VIRUS DE SCHMALLENBERG
Actuellement, une nouvelle maladie sévit chez les ovins, causée par le virus de Schmallenberg, identifié fin 2011. Elle est apparue en Allemagne et aux Pays Bas. "Chez les ovins, les symptômes sont uniquement observés chez les agneaux qui ont été infectés au cours de la gestation des brebis : des avortements, de la mortinatalité et des malformations congénitales sont ainsi observées" (Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaine Alimentaire)
LA PROTECTION ENCORE ET TOUJOURS
Depuis 2004, le Ministère de l'Agriculture, soutenu par l'Union Européenne, prend en charge le financement des mesures de protection vis à vis du
loup("Le loup en France, site de l'Etat") : pour des aide bergers salariés, des chiens et des parcs de protection. Il a été reconnu que la présence du loup représente une surcharge
conséquente de travail, et nécessite l'embauche d'aide bergers, qu'ils soient salariés ou bénévoles (comme l'action PastoraLoup de Ferus). Des moyens de protection ont été mis en place, comme des filets électrifiés amovibles pour parquer les brebis
la nuit quand cela est possible ; les patous "qui ont une réelle efficacité",
précise Hervé." Bien sûr, il y a de "mauvais chiens", mais c'est une protection qui a fait ses preuves, et qui est utilisée
dans tous les pays, chacun choisissant une race appropriée". Certes, il faut que les randonneurs soient conscients du danger à
approcher de trop près un troupeau gardé par des chiens. En cas d'attaque, les éleveurs sont responsables, et devront contribuer pour une large part à l'indemnisation des victimes. L'idéal pour
un troupeau ? "300 à 400 brebis, un berger et un chien ; le loup n'attaque pas l'homme, il en a
peur.
L'élevage a encore des cartes à jouer, avec une production respectueuse de
l'environnement, une vente directe à travers label et AOC", dit Hervé. "On observe une petite évolution des mentalités, et il faut espérer une réelle
cohabitation des troupeaux et du loup". Le grand prédateur a-t-il encore sa place chez nous
? "Naturellement. La population d'ongulés a doublé en 15 ans. Les loups prélèvent environ 3000 chamois ou
chevreuils par an. A titre de comparaison, les chasseurs en prélèvent 300 000..."
LE LOUP EN LIGNE DE MIRE
Dans la liste rouge des espèces menacées, l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), classe le loup en France comme "espèce vulnérable". S'il n'était pas protégé, pourrait-il
survivre ? Il semble bien que non, si l'on en croit ce bilan établi à partir des données de l'Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS) : parmi
les différentes causes de mortalité des 60 cas recensés depuis le retour du loup en France : 25% relèvent de
tirs illégaux, 8% d'empoisonnement, 2% de piégeage, 5% de braconnage d'origine inconnue, 13% de cause inconnue, 15% de tirs "officiels", 29% de collisions routières et ferroviaires, 3%
naturelles...(Mathieu Krammer - leis oursoun 2011).
Mal protégé par la loi, le loup se trouve bel et bien en ligne de mire, avec l'arrêté du 16 mars 2012, visant à autoriser le
tir du loup en cas de "troupeau reconnu comme ne pouvant être protégé". Une notion
assez vague, que plusieurs associations de défense du loup, demandent à l'Etat de préciser. "Un décret pris sous pression du monde de l'élevage", note Hervé ; le gouvernement a cédé, une
fois de plus, aux anti-loups".
Autre raison de s'inquiéter pour Canis Lupus : en février dernier, la Direction de l'Environnement et de la
Biodiversité a demandé à l'ONCFS "d'identifier l'ensemble des acteurs susceptibles d'être impliqués dans des opérations d'intervention sur les
loups", parmi "lieutenants de louveteries, chasseurs,
éleveurs, bergers..."
Le loup livré à ses pires détracteurs, avec l'aval du Ministère de l'Ecologie ? Nous sommes bien loin de la Convention de Berne, du Grenelle de l'environnement et de ses belles promesses, et de la stratégie nationale pour la biodiversité, dont les objectifs sont bafoués !!
"Ferus " est la première association nationale pour la conservation des grands prédateurs que sont le loup, le lynx et l'ours. Le réseau local "Provence Méditerranée", animé par Hervé Boyac, est particulièrement axé sur le loup, et organise régulièrement des randonnées dans le Mercantour, mais aussi dans le Haut Var ou à la Sainte Baume... Le journal de l'association, "La Gazette des grands prédateurs", parait 4 fois par an. Une diffusion qui vient compléter toutes les actions mises en place par Ferus (conférences, diaporamas, dépliants, etc...), pour informer le public sur la vie de ces animaux dont la cohabitation avec l'homme est régulièrement remise en question, malgré les lois existantes. en savoir plus