Il était une fois... la Provence. Une étroite bande de terre composée de lagunes, d'îlots, de deltas, de marécages, et de rivières au cours parfois rapide, très violent. Une contrée émergée entre notre actuelle ville de Digne au nord, et celles de Brignoles et Aix en Provence au sud. Une région au climat tropical, où évoluaient crabes, tortues, varans, reptiles volants, requins et dinosaures, dont de grands troupeaux effectuaient des migrations saisonnières, du Haut Var au bassin d'Aix, pour se reproduire. "Le paysage de la Provence devait ressembler à l'Indonésie", a expliqué Stephen Giner, conservateur adjoint au Museum d'Histoire Naturelle de Toulon et du Var, lors d'une conférence à Sillans fin août 2012. C'était à l'époque du crétacé, il y a 72 millions d'années, au temps des dinosaures. Mais rassurons-nous, ils n'ont pas tout à fait disparu, puisque "les oiseaux sont leurs descendants".
DES ILES AU CLIMAT TROPICAL
Géomorphologue et paléo-environnementaliste, Stephen Giner étudie la forme de la terre,
et l'environnement des temps passés. "A l'époque des dinosaures, la Provence était constituée d'îles, baignées par la mer au
sud-ouest et au nord est". A ce moment, la France
se situe à un millier de kilomètres plus au sud, et le climat est plus chaud en général. "Le taux d'oxygène est alors le même qu'aujourd'hui, mais la température moyenne est de 22°, beaucoup plus
élevée, quasi-tropicale, et la végétation est abondante. Il n'existe pas de glace aux pôles, et le niveau de la mer
s'élève à 220 mètres au-dessus du niveau actuel".
La Provence
constitue une réserve très importante de fossiles de l'époque. " Quand un animal mourait
dans un lac ou une rivière, son squelette était recouvert de vase, dont les couches successives durcissaient peu à peu. Il se transformait progressivement en pierre. Les Alpes ne faisaient pas
encore partie du paysage. Leur naissance a entrainé un bouleversement des pentes géologiques, et l'érosion a provoqué la mise à jour des os à la surface de la
terre".
C'EST UN PEU COMME RECONSTITUER UNE SCENE DE CRIME
A partir d'un os, voire d'un fragment d'os, et des sédiments qui l'entourent, le paléontologue
parvient à en déduire quel était cet animal, son mode de vie, son alimentation, son environnement, la cause de sa mort... "Il s'agit un peu pour nous
d'une scène de crime, dont nous effectuons la reconstitution". Contrairement à ce qui se passe en archéologie, en paléontologie, l'autorisation du propriétaire du terrain est indispensable pour effectuer les fouilles, et celui-ci est en droit de
récupérer un fossile après son étude... "Mais il n'est jamais lésé. La
plupart du temps, quand un fossile est exposé au musée, on y accole le nom du donateur, qui sort ainsi de l'anonymat".
A Brue-Auriac (83), un
fossile de tortue a été retrouvé en bordure de route par un prospecteur amateur. "Une tortue d'espèce encore inconnue
noyée dans un lac il y a un peu plus de 20 millions d'années". A Sanary (83), on a découvert en 1964, des empreintes de dinosaures carnivores sur des falaises.
"Il y a 210 millions d'années, c'étaient des plages de sable, qui ont été relevées à la verticale. Leur accès est
difficile, dangereux. On ne peut les protéger. La mer et l'érosion les détruisent peu à peu".
Les fossiles retrouvés dans le Haut Var sont
abondants. "Les petites dents d'un requin, qui mesurait de 50 cm à 1 m, qui pouvait vivre en mer, et remonter les rivières ; des
aiguillons et des dents de raie, qui évoluaient dans les mangroves ; des os de varan ; des dents de fouette-queue, un lézard qui vit actuellement
en Egypte dans un environnement aride, ce qui fait dire qu'il y avait des saisons alternées ; des tortues, typiques de Fox Amphoux, et uniquement en Provence : Foxemis Mechinorum, du nom de deux
fouilleurs amateurs, Annie et Patrick Méchin, qui collaborent avec le C.N.R.S. ; un fossile de poisson crocodile, qui ne vit aujourd'hui qu'en Amérique du Sud; un crâne
d'alligator..."
Il y avait aussi dans la région des animaux volant, comme le ptérosaure, qui n'est pas un dinosaure, mais un reptile
volant. "On a découvert un de ses os à
Pourrières (83). Il faisait plus de 9 mètres d'envergure, il était plus grand qu'une girafe". Dans l'Hérault, on a découvert à proximité des vignes, des os
d'un oiseau géant, que l'on nommera "gargantuavis philoinos" (oiseau gargantuesque qui aime le vin). "De leur côté, "les Méchin", ont trouvé à Fox Amphoux un fragment de bassin de cet oiseau, dont la taille aurait avoisiné celle d'une autruche".
LES DINOSAURES CES ANCETRES DES OISEAUX
Le bassin d'Aix en Provence est l'un des plus grands gisements au monde d'oeufs de dinosaures, mais on n'y a pas découvert d'os. "Les dinosaures qui vivaient dans le Haut Var, dans la région de Sillans et de Fox Amphoux, migraient régulièrement près du massif de Sainte Victoire pour pondre. Leurs oeufs avaient la taille d'un petit ballon de football, environ 20 cm de diamètre, pour un dinosaure de 20 mètres de long. La végétation qui les entourait était composée de mousses et fougères, lotus, pins, petits palmiers, séquoias, tilleuls, noyers..."
Si le Haut Var abritait le titanosaure, un herbivore, et l'un des plus gros dinosaure d'Europe, celui de notre région était de
relativement petite taille : 15m à 20m de long pour un poids de 8 tonnes, alors que son cousin argentin pouvait atteindre 50m de long.
"C'est qu'ici, ils vivaient sur des îles. Certains d'entre eux avaient des plaques osseuses sous la peau, des ostéodermes,
qui les protégeaient, un peu comme une armure. D'autres possédaient, enmatière de protection, des épines sur le dos". Autre
herbivore local, le rabdhodon, dinosaure "à pieds
d'oiseaux", dont une reconstitution effectuée à la suite de fouilles à Fox Amphoux, a été présentée en 2007 au Museum d'Histoire Naturelle de Toulon.
Le tarascosaure (ou lézard de Tarasque, allusion au monstre
légendaire qui rodait dans les marécages de Tarascon), est un carnivore, de 8 mètres de long. "Un premier fossile a été découvert à
Pourcieux (83), et l'on vient d'en trouver encore à Pourrfières. Ils sont tout à fait semblables à ceux
d'Amérique du Sud. On peut supposer que ces derniers sont passés par l'Afrique, pour remonter ensuite jusqu'en Europe. Ils avaient des dents tranchantes, pour déchirer la
viande".
Le variraptor mechinorum (prédateur du Var découvert par" les Méchin"), dont un fragment de fémur et une dent ont été mis à jour à Fox Amphoux, avait de fortes griffes, et celle du deuxième doigt de pied, en forme de crochet, était particulièrement redoutable. "Ils mesuraient de 1m à 1,30m de haut, pour 2,50m à 3m de long. Ils vivaient en meutes, et n'hésitaient pas à s'attaquer en nombre à de plus gros dinosaures. Ils lacéraient leurs victimes, qui succombaient à leurs blessures hémorragiques. Les dinosaures de type "raptor", étaient entièrement couverts de plumes... et nos oiseaux sont bel et bien les descendants de ceux qui ont survécu à la crise d'extinction, et qui ont évolué. NOUS SOMMES TOUJOURS A L'EPOQUE DES DINOSAURES."
UN METIER PASSION
Stephen Giner et Eric Buffetaut, directeur des Recherches du C.N.R.S., ont prospecté du côté de Sillans et Saint Julien Le Montagnier, en quête d'oeufs d'oiseaux géants, les gastornis, qui vivaient après les dinosaures. "Il s'agit d'un travail de patience, il faut étudier le terrain cm2 par cm2". En 5 jours, ils ont récolté 800 fragments d'oeufs". Les fouilles ne sont pas de tout repos. Mieux vaut être aguerri contre insectes, scorpions ou araignées, ne pas craindre les intempéries, et posséder une bonne forme physique. "Nous travaillons au marteau, au burin, parfois au marteau-piqueur. Lorsque nous trouvons un os, nous le dégageons délicatement avec un petit marteau et une aiguille. Il est alors photographié avec un guide d'échelle qui indique également le nord, et nous établissons une fiche avec coordonnées du lieu, description des couches et orientation de l'objet, dont nous réalisons une reproduction sur papier millimétré, ainsi qu'un dessin en coupe du terrain. Un bon coup de crayon se révèle nécessaire".
De retour au gîte loué le temps des fouilles, le travail se poursuit avec nettoyage des objets trouvés, identification par études comparatives, statistiques... "Le rapport de la campagne de fouille est établi au jour le jour". De ces os, seront plus tard effectués des moulages qui seront peints. Ils serviront à la reconstitution des animaux, à l'élaboration d'expositions, de livres. "Notre métier est un métier-passion, et le Museum d'Histoire Naturelle est un service public, auquel chacun peut s'adresser pour un conseil, ou apporter des fossiles. Cela fait partie de notre mission".
Les paléontologues collaborent et échangent de façon fructueuse avec l'étranger. Stephen s'est rendu l'an dernier à Wuhan en Chine, pour un début d'échanges avec le directeur de l'Université de Géosciences
LES MUSEES
La Provence est l'une des régions les plus riches de France en fossiles de dinosaures, et le Var en est le département le plus pourvu. Deux musées les abritent :