CAMARGUE

Promenade nocturne

Nous sommes une dizaine en cette fin d'après-midi du mois de mai, pour une promenade nocturne sur la digue à la mer, sous la houlette de notre guide, Christophe. Quinze kilomètres aller-retour en terrain plat, entre mer et étangs. Des paysages à couper le souffle dans les lueurs du couchant, animés par un mistral particulièrement violent ce soir, et le ballet incessant des oiseaux.

L'HOMME CONTROLE TOUS LES NIVEAUX D'EAU

Repérage des lieux sur la carte où l'on localise rapidement les deux bras du Rhône. "Le fleuve a eu jusqu'à 6 ou 7 bras, désormais bouchés ou transformés en canaux", commente Guillaume. "En 1840, puis 1856, le Rhône a connu deux crues majeures, et c'est alors qu'ont été décidés des travaux d'aménagement : la digue à la mer, puis l'endiguement du fleuve. Aujourd'hui, l'homme contrôle tous les niveaux d'eau, que ce soit pour les rizières, la pisciculture, les marais et la chasse, ou les espaces protégés". Non sans difficulté pour maintenir un fragile équilibre. "Les digues cassent les cycles naturels. Il n'y a plus d'apport de sédiments. Les sols se tassent et perdent 2 mm par an, tandis que la mer monte d'environ 1 mm par an. Les courants marins provoquent un phénomène de "dégraissement" (ils "mangent" le sable) au niveau des Saintes Maries de la Mer, tandis qu'ils produisent un "engraissement" (un "allongement" du sable) vers Beauduc".
En 1970, deux grands complexes immobiliers et industriels voient le jour : L e Grau du Roi, et Fos sur Mer. C'est également l'année de naissance du Parc Naturel Régional de Camargue, qui englobe en 2011 la Grande Camargue entre les deux bras du Rhône, la Petite Camargue, à l'ouest du Petit Rhône, ainsi que la Palissade et le Vigueirat, à l'est du Grand Rhône.

"Il faut aussi savoir que les Salins couvrent 13 000 ha. Ce sont les plus grands salins d'Europe, et il s'agit de la seule terre de Camargue sous le niveau de la mer". La Compagnie des Salins récolte chaque année 900 000 tonnes de sel pour l'industrie.
"Les paysages de Camargue étaient autrefois caractérisés par une grande variabilité. Avec l'intervention de l'homme, ils se sont figés, banalisés".

DES PAYSAGES... DES OISEAUX...

Nous prenons la piste entre le canal et l'étang des Impériaux. Les flamants roses, hautes silhouettes dégingandées, vont et viennent dans la vase. "C'est un oiseau assez archaïque, au chant rustique, tandis que les passereaux, apparus plus tardivement, ont des chants évolués". Une aigrette garzette, figée, guette quelque proie au bord de l'eau.

aigrette garzette
aigrette garzette
aigrette garzette
aigrette garzette

Dérangé, un héron cendré prend lourdement son envol. Un peu plus loin, c'est un cochevis huppé qui atterrit au milieu du chemin. Quelques moustiques nous harcèlent. "Il y a eu une expérience de  démoustication de confort, par le bio-insecticide BTI, qui stoppe le développement des larves, sur le domaine de L Palissade. Mais on a remarqué que conjointement, les rainettes disparaissaient. Serait-ce l'une des causes ? Le moustique n'a-t-il pas sa place dans l'éco-système ?"

Très vite, nous arrivons sur la digue à la mer, près du pont où sont régulées les entrées d'eaux douces et salées.
"Les niveaux d'eau sont gérés par les Associations de Syndicats Autorisés, auxquelles sont affiliés les agriculteurs".

Une partie de pêche vire à la bagarre pour de jeunes goélands, laissant indifférent un groupe de mouettes qui se laisse dériver au fil de l'eau.
Régulièrement, des ternes naines passent au-dessus de nous en lançant des cris stridents. "Elles font des allées et venues entre leurs nids et leurs lieux d'alimentation. On les reconnait à leur petite taille et leur bec jaune à bout noir".
Le long du canal, nous observons les roselières, habitat temporaire pour les hirondelles en migration. "On en compte parfois des centaines de milliers.L'eau est ici assez douce mais quand elle s'évapore en été, la terre sèche et le sel remonte. C'est alors que l'on trouve la soude ligneuse, une plante succulente. Autrefois, le savon de Marseille était fait avec de la cendre de soude ligneuse et de l'huile d'olive.La soude a été une plante cultivée que l'on exportait".

Nous progressons lentement, retenus par des paysages spectaculaires, reflet des derniers rayons du soleil sur les eaux, et le spectacle des oiseaux.

Ici, les cousines de l'échasse blanche, les avocettes, sabrent la surface de l'eau de leur long bec recourbé, pour capturer larves et insectes. Sur la grève, des pluviers argentés, petites formes rondes que l'on ne voient réellement qu'avec la longue vue : "ils ne sont que de passage, ils se reproduisent dans la toundra arctique". Un peu plus loin, ce sont des gravelots à collier interrompu, petits échassiers qui se fondent dans un décor de cailloux.

gobemouche noir
gobemouche noir

Plus près, un huitrier-pie : dos noir et ventre blanc, on reconnait son long bec rouge-orangé et sa silhouette trapue. "C'est une espèce protégée, un oiseau exclusivement du littoral, qui niche en Camargue". Et voici une barge rousse, pataugeant dans l'eau, où elle plonge de temps à autre son long bec mince. "Encore un oiseau de passage, qui se reproduit dans le nord de la Scandinavie".

avocettes
avocettes
tadorne de Belon
tadorne de Belon

hérons cendrés parade
hérons cendrés parade

Et qui d'autre encore ? Le bécasseau cocourlis, le bécasseau variable, un couple de chevaliers gambette se livrant à une impressionnante parade nuptiale, un busard cendré en rase motte au-dessus des marais...

LE TRIANGLE D'OR DE LA BIODIVERSITE

Côté mer ou côté étangs, nous nous attardons aussi sur la végétation. "La Camargue est appelée "le triangle d'or de la biodiversité", c'est dire si le milieu est riche..."

tamaris
tamaris
camomille des sables
camomille des sables

Par endroit, les joncs piquant s'éparpillent en touffes à perte de vue, mais il faut se pencher pour découvrir la camomille des sables, l'inule fausse criste, l'alysson maritime aux délicates fleurs blanches arrondies, le salsifis sauvage, l'obione, ou arroche pourprière : "elle supporte les embruns, et même de brèves immersions en eau salée. Ses feuilles en entonnoir lui permettent de recueillir la rosée du matin, et les poils qui les recouvrent limitent l'évaporation".

L'oyat, cette grande herbe de la famille des graminées, retient le sable, grâce à ses racines profondément enfoncées dans le sol. "Une plante très efficace pour fixer les dunes, que l'on a introduite, là où elle n'existait pas".

euphorbe des sables
euphorbe des sables
chardon des sables
chardon des sables

L'euphorbe  et le chardon des sables jouent le même rôle.

iris des marais
iris des marais

 

 

 

 L'iris des marais serait en fait l'emblème des rois de France, choisi par Louis VII Le Jeune pour orner son blason, en 1180. L'iris dénommé alors "fleur de Louys", deviendra au fil du temps "fleur de lys..."

 

"Les sansouires sont des terres de pâturage en été pour taureaux et chevaux. On y trouve principalement la salicorne, la saladelle ou lavande de mer, la soude et l'obione.
Lorsqu'elles sont inondées en hiver, les canards viennent y dormir."

Le chemin s'ensable et la nuit tombe. Nous nous installons un moment à l'abri des dunes pour un léger dîner.

Le retour se fera d'un pas vif, dans l'obscurité et la musique du vent, troublée de temps à autre par un cri d'oiseau.

Christophe fait partie du Bureau des Guides Naturalistes.   Contact